Les Essais, Livre II
jeune Dionysius contre les Syracusains, leur
presenta la battaille, qui fut asprement contestée, les forces
estants pareilles. En icelle il eut du meilleur au commencement,
par sa prouësse. Mais les Syracusains se rengeans autour de sa
galere, pour l'investir, ayant faict grands faicts d'armes de sa
personne, pour se desvelopper, n'y esperant plus de ressource,
s'osta de sa main la vie, qu'il avoit si liberalement abandonnée,
et frustratoirement, aux mains ennemies. Moley Moluch, Roy de Fais,
qui vient de gaigner contre Sebastian Roy de Portugal, cette
journée, fameuse par la mort de trois Roys, et par la transmission
de cette grande couronne, à celle de Castille : se trouva
grievement malade dés lors que les Portugalois entrerent à main
armée en son estat ; et alla tousjours depuis en empirant vers
la mort, et la prevoyant. Jamais homme ne se servit de soy plus
vigoureusement, et bravement. Il se trouva foible, pour soustenir
la pompe ceremonieuse de l'entrée de son camp, qui est selon leur
mode, pleine de magnificence, et chargée de tout plein
d'action : et resigna cet honneur à son frere : Mais ce
fut aussi le seul office de Capitaine qu'il resigna : touts
les autres necessaires et utiles, il les feit tres-glorieusement et
exactement. Tenant son corps couché : mais son entendement, et
son courage, debout et ferme, jusques au dernier souspir : et
aucunement audelà. Il pouvoit miner ses ennemis, indiscretement
advancez en ses terres : et luy poisa merveilleusement, qu'à
faute d'un peu de vie, et pour n'avoir qui substituer à la
conduitte de cette guerre, et affaires d'un estat troublé, il eust
à chercher la victoire sanglante et hazardeuse, en ayant une autre
pure et nette entre ses mains. Toutesfois il mesnagea
miraculeusement la durée de sa maladie, à faire consumer son
ennemy, et l'attirer loing de son armée de mer, et des places
maritimes qu'il avoit en la coste d'Affrique : jusques au
dernier jour de sa vie, lequel par dessein, il employa et reserva à
cette grande journée. Il dressa sa battaille en rond, assiegeant de
toutes pars l'ost des Portugais ; lequel rond venant à se
courber et serrer, les empescha non seulement au conflict (qui fut
tres aspre par la valeur de ce jeune Roy assaillant) veu qu'ils
avoient à montrer visage à tous sens : mais aussi les empescha
à la fuitte apres leur routte. Et trouvants toutes les issues
saisies, et closes ; furent contraints de se rejetter à eux
mesmes :
coacervanturque non solum cæde, sed etiam
fuga
, et s'amonceller les uns sur les autres, fournissants aux
vaincueurs une tres-meurtriere victoire, et tres-entiere. Mourant,
il se feit porter et tracasser où le besoing l'appelloit : et
coulant le long des files, enhortoit ses Capitaines et soldats, les
uns apres les autres. Mais un coing de sa battaille se laissant
enfoncer, on ne le peut tenir, qu'il ne montast à cheval l'espée au
poing. Il s'efforçoit pour s'aller mesler, ses gents l'arrestants,
qui par la bride, qui par sa robbe, et par ses estriers. Cest
effort acheva d'accabler ce peu de vie, qui luy restoit : On
le recoucha. Luy se resuscitant comme en sursaut de cette
pasmoison, toute autre faculté luy deffaillant ; pour advertir
qu'on teust sa mort (qui estoit le plus necessaire commandement,
qu'il eust lorsà faire, affin de n'engendrer quelque desespoir aux
siens, par cette nouvelle) expira, tenant le doigt contre sa bouche
close : signe ordinaire de faire silence. Qui vescut oncques
si long temps, et si avant en la mort ? qui mourut oncques si
debout ?
L'extreme degré de traitter courageusement la mort, et le plus
naturel, c'est la veoir, non seulement sans estonnement, mais sans
soucy : continuant libre le train de la vie, jusques dedans
elle. Comme Caton, qui s'amusoit à estudier et à dormir, en ayant
une violente et sanglante, presente en son coeur, et la tenant en
sa main.
Chapitre 22 Des postes
JE n'ay pas esté des plus foibles en cet exercice, qui est
propre à gens de ma taille, ferme et courte : mais j'en quitte
le mestier : il nous essaye trop, pour y durer long temps.
Je lisois à cette heure, que le Roy Cyrus, pour recevoir plus
facilement nouvelles de tous les costez de son Empire, qui estoit
d'une fort grande estenduë, fit regarder combien un cheval pouvoit
faire de chemin en un jour, tout d'une traicte, et à ceste distance
il establit des hommes, qui avoient charge de tenir des chevaux
prests, pour en fournir à ceux qui viendroient
Weitere Kostenlose Bücher