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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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essayé par
tous les moyens qu'ils peurent, de me faire revenir, me tenans pour
mort, me prindrent entre leurs bras, et m'emportoient avec beaucoup
de difficulté en ma maison, qui estoit loing de là, environ une
demy lieuë Françoise. Sur le chemin, et apres avoir esté plus de
deux grosses heures tenu pour trespassé, je commençay à me mouvoir
et respirer : car il estoit tombé si grande abondance de sang
dans mon estomach, que pour l'en descharger, nature eut besoin de
resusciter ses forces. On me dressa sur mes pieds, où je rendy un
plein seau de bouillons de sang pur : et plusieurs fois par le
chemin, il m'en falut faire de mesme. Par là je commençay à
reprendre un peu de vie, mais ce fut par les menus, et par un si
long traict de temps, que mes premiers sentimens estoient beaucoup
plus approchans de la mort que de la vie.
    Perche dubbiosa anchor del suo
ritorno
Non s'assecura attonita la mente
.
    Ceste recordation que j'en ay fort empreinte en mon ame, me
representant son visage et son idée si pres du naturel, me concilie
aucunement à elle. Quand je commençay à y voir, ce fut d'une veuë
si trouble, si foible, et si morte, que je ne discernois encores
rien que la lumiere,
    come quel ch'or apre, or
chiude
Gli occhi, mezzo tra'l sonno è l'esser desto
.
    Quant aux functions de l'ame, elles naissoient avec mesme
progrez, que celles du corps. Je me vy tout sanglant : car mon
pourpoinct estoit taché par tout du sang que j'avoy rendu. La
premiere pensée qui me vint, ce fut que j'avoy une harquebusade en
la teste : de vray en mesme temps, il s'en tiroit plusieurs
autour de nous. Il me sembloit que ma vie ne me tenoit plus qu'au
bout des lévres : je fermois les yeux pour ayder (ce me
sembloit) à la pousser hors, et prenois plaisir à m'alanguir et à
me laisser aller. C'estoit une imagination qui ne faisoit que nager
superficiellement en mon ame, aussi tendre et aussi foible que tout
le reste : mais à la verité non seulement exempte de
desplaisir, ains meslée à ceste douceur, que sentent ceux qui se
laissent glisser au sommeil.
    Je croy que c'est ce mesme estat, où se trouvent ceux qu'on void
défaillans de foiblesse, en l'agonie de la mort : et tiens que
nous les plaignons sans cause, estimans qu'ils soyent agitez de
griéves douleurs, ou avoir l'ame pressée de cogitations penibles.
C'a esté tousjours mon advis, contre l'opinion de plusieurs, et
mesme d'Estienne de la Boëtie, que ceux que nous voyons ainsi
renversez et assoupis aux approches de leur fin, ou accablez de la
longueur du mal, ou par accident d'une apoplexie, ou mal caduc,
    vi morbi sæpe coactus
Ante oculos aliquis nostros ut fulminis ictu
Concidit, Et spumas agit, ingemit, et fremit artus,
Desipit, extentat nervos, torquetur, anhelat,
Inconstanter et in jactando membra fatigat,
    ou blessez en la teste, que nous oyons rommeller, et rendre par
fois des souspirs trenchans, quoy que nous en tirons aucuns signes,
par où il semble qu'il leur reste encore de la cognoissance, et
quelques mouvemens que nous leur voyons faire du corps : j'ay
tousjours pensé, dis-je, qu'ils avoient et l'ame et le corps
enseveli, et endormy.
    Vivit et est vitæ nescius ipse
suæ.
    Et ne pouvois croire qu'à un si grand estonnement de membres, et
si grande défaillance des sens, l'ame peust maintenir aucune force
au dedans pour se recognoistre : et que par ainsin ils
n'avoient aucun discours qui les tourmentast, et qui leur peust
faire juger et sentir la misere de leur condition, et que par
consequent, ils n'estoient pas fort à plaindre.
    Je n'imagine aucun estat pour moy si insupportable et horrible,
que d'avoir l'ame vifve, et affligée, sans moyen de se
declarer : Comme je dirois de ceux qu'on envoye au supplice,
leur ayant couppé la langue : si ce n'estoit qu'en ceste sorte
de mort, la plus muette me semble la mieux seante, si elle est
accompaignée d'un ferme visage et grave : Et comme ces
miserables prisonniers qui tombent és mains des vilains bourreaux
soldats de ce temps, desquels ils sont tourmentez de toute espece
de cruel traictement, pour les contraindre à quelque rançon
excessive et impossible : tenus cependant en condition et en
lieu, où ils n'ont moyen quelconque d'expression et signification
de leurs pensées et de leur misere.
    Les Poëtes ont feint quelques dieux favorables à la delivrance
de ceux qui trainoient ainsin une mort languissante :
    hunc ego Diti
Sacrum jussa fero, téque isto corpore solvo
.
    Et les voix et

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