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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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fautiere et repentable : Mon mestier et mon art, c'est
vivre. Qui me defend d'en parler selon mon sens, experience et
usage : qu'il ordonne à l'architecte de parler des bastimens
non selon soy, mais selon son voisin, selon la science d'un autre,
non selon la sienne. Si c'est gloire, de soy-mesme publier ses
valeurs, que ne met Cicero en avant l'eloquence de Hortense ;
Hortense celle de Cicero ? A l'adventure entendent ils que je
tesmoigne de moy par ouvrage et effects, non nuement par des
paroles. Je peins principalement mes cogitations, subject informe,
qui ne peut tomber en production ouvragere. A toute peine le puis
je coucher en ce corps aëré de la voix. Des plus sages hommes, et
des plus devots, ont vescu fuyants tous apparents effects. Les
effects diroyent plus de la fortune, que de moy. Ils tesmoignent
leur roolle, non pas le mien, si ce n'est conjecturalement et
incertainement : Eschantillons d'une montre particuliere. Je
m'estalle entier : C'est un skeletos, où d'une veuë les
veines, les muscles, les tendons paroissent, chasque piece en son
siege. L'effect de la toux en produisoit une partie : l'effect
de la palleur ou battement de coeur un' autre, et
doubteusement.
    Ce ne sont mes gestes que j'escris ; c'est moy, c'est mon
essence. Je tien qu'il faut estre prudent à estimer de soy, et
pareillement conscientieux à en tesmoigner : soit bas, soit
haut, indifferemment. Si je me sembloy bon et sage tout à fait, je
l'entonneroy à pleine teste. De dire moins de soy, qu'il n'y en a,
c'est sottise, non modestie : se payer de moins, qu'on ne
vaut, c'est lascheté et pusillanimité selon Aristote. Nulle vertu
ne s'ayde de la fausseté : et la verité n'est jamais matiere
d'erreur. De dire de soy plus qu'il n'en y a, ce n'est pas
tousjours presomption, c'est encore souvent sottise. Se complaire
outre mesure de ce qu'on est, en tomber en amour de soy indiscrete,
est à mon advis la substance de ce vice. Le supreme remede à le
guarir, c'est faire tout le rebours de ce que ceux icy ordonnent,
qui en defendant le parler de soy, defendent par consequent encore
plus de penser à soy. L'orgueil gist en la pensée : la langue
n'y peut avoir qu'une bien legere part. De s'amuser à soy, il leur
semble que c'est se plaire en soy : de se hanter et
prattiquer, que c'est se trop cherir. Mais cet excez naist
seulement en ceux qui ne se tastent que superficiellement, qui se
voyent apres leurs affaires, qui appellent resverie et oysiveté de
s'entretenir de soy, et s'estoffer et bastir, faire des chasteaux
en Espaigne : s'estimants chose tierce et estrangere à eux
mesmes.
    Si quelcun s'enyvre de sa science, regardant souz soy :
qu'il tourne les yeux au dessus vers les siecles passez, il
baissera les cornes, y trouvant tant de milliers d'esprits, qui le
foulent aux pieds. S'il entre en quelque flateuse presomption de sa
vaillance, qu'il se ramentoive les vies de Scipion, d'Epaminondas,
de tant d'armées, de tant de peuples, qui le laissent si loing
derriere eux. Nulle particuliere qualité n'enorgeuillira celuy, qui
mettra quand et quand en compte, tant d'imparfaittes et foibles
qualitez autres, qui sont en luy, et au bout, la nihilité de
l'humaine condition.
    Par ce que Socrates avoit seul mordu à certes au precepte de son
Dieu, de se connoistre, et par cest estude estoit arrivé à se
mespriser, il fut estimé seul digne du nom de Sage. Qui se
connoistra ainsi, qu'il se donne hardiment à connoistre par sa
bouche.

Chapitre 7 Des recompenses d'honneur
    CEUX qui escrivent la vie d'Auguste Cæsar, remarquent cecy en sa
discipline militaire, que des dons il estoit merveilleusement
liberal envers ceux qui le meritoient : mais que des pures
recompenses d'honneur il en estoit bien autant espargnant. Si
est-ce qu'il avoit esté luy mesme gratifié par son oncle, de toutes
les recompenses militaires, avant qu'il eust jamais esté à la
guerre. C'a esté une belle invention, et receuë en la plus part des
polices du monde, d'establir certaines merques vaines et sans prix,
pour en honnorer et recompenser la vertu : comme sont les
couronnes de laurier, de chesne, de meurte, la forme de certain
vestement, le privilege d'aller en coche par ville, ou de nuit
avecques flambeau, quelque assiete particuliere aux assemblées
publiques, la prerogative d'aucuns surnoms et titres, certaines
merques aux armoiries, et choses semblables, dequoy l'usage a esté
diversement receu selon l'opinion des nations, et dure encores.
    Nous

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