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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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vers
l'Allemaigne, il dit qu'estimant indigne de l'honneur du peuple
Romain, qu'il passast son armée à navires, il fit dresser un pont,
afin qu'il passast à pied ferme. Ce fut là, qu'il bastit ce pont
admirable, dequoy il dechiffre particulierement la fabrique :
car il ne s'arreste si volontiers en nul endroit de ses faits, qu'à
nous representer la subtilité de ses inventions, en telle sorte
d'ouvrages de main.
    J'y ay aussi remarqué cela, qu'il fait grand cas de ses
exhortations aux soldats avant le combat : car où il veut
montrer avoir esté surpris, ou pressé, il allegue tousjours cela,
qu'il n'eut pas seulement loisir de haranguer son armée. Avant
cette grande battaille contre ceux de Tournay ; Cæsar,
dict-il, ayant ordonné du reste, courut soudainement, où la fortune
le porta, pour exhorter ses gens ; et rencontrant la dixiesme
legion, il n'eut loisir de leur dire, sinon, qu'ils eussent
souvenance de leur vertu accoustumée, qu'ils ne s'estonnassent
point, et soustinsent hardiment l'effort des adversaires : et
par ce que l'ennemy estoit des-ja approché à un ject de traict, il
donna le signe de la battaille : et de là estant passé
soudainement ailleurs pour en encourager d'autres, il trouva qu'ils
estoyent des-ja aux prises : voyla ce qu'il en dit en ce lieu
là. De vray, sa langue luy a faict en plusieurs lieux de bien
notables services, et estoit de son temps mesme, son eloquence
militaire en telle recommendation, que plusieurs en son armée
recueilloyent ses harangues : et par ce moyen, il en fut
assemblé des volumes, qui ont duré long temps apres luy. Son parler
avoit des graces particulieres ; si que ses familiers, et
entre autres Auguste, oyant reciter ce qui en avoit esté recueilly,
recognoissoit jusques aux phrases, et aux mots, ce qui n'estoit pas
du sien.
    La premiere fois qu'il sortit de Rome, avec charge publique, il
arriva en huict jours à la riviere du Rhone, ayant dans son coche
devant luy un secretaire ou deux qui escrivoyent sans cesse, et
derriere luy, celuy qui portoit son espée. Et certes quand on ne
feroit qu'aller, à peine pourroit-on atteindre à cette promptitude,
dequoy tousjours victorieux ayant laissé la Gaule, et suivant
Pompeius à Brindes, il subjuga l'Italie en dixhuict jours ;
revint de Brindes à Rome ; de Rome il s'en alla au fin fond de
l'Espagne ; où il passa des difficultez extremes, en la guerre
contre Affranius et Petreius, et au long siege de Marseille :
de là il s'en retourna en la Macedoine, battit l'armée Romaine à
Pharsale ; passa de là, suivant Pompeius, en Ægypte, laquelle
il subjuga ; d'Ægypte il vint en Syrie, et au pays de Pont, où
il combattit Pharnaces ; de là en Afrique, où il deffit
Scipion et Juba ; et rebroussa encore par l'Italie en Espagne,
où il deffit les enfans de Pompeius.
    Ocior et cæli flammis et tigride
fæa
.
    Ac veluti montis saxum de vertice
præceps
Cum ruit avulsum vento, seu turbidus imber
Proluit, aut annis soluit sublapsa vetustas,
Fertur in abruptum magno mons improbus actu,
Exultatque solo, silvas, armenta, virósque,
Involvens secum
.
    Parlant du siege d'Avaricum, il dit, que c'estoit sa coustume,
de se tenir nuict et jour pres des ouvriers, qu'il avoit en
besoigne. En toutes entreprises de consequence, il faisoit
tousjours la descouverte luy mesme, et ne passa jamais son armée en
lieu, qu'il n'eust premierement recognu. Et si nous croyons
Suetone ; quand il fit l'entreprise de trajetter en
Angleterre, il fut le premier à sonder le gué. Il avoit accoustumé
de dire, qu'il aimoit mieux la victoire qui se conduisoit par
conseil que par force. Et en la guerre contre Petreius et Afranius,
la fortune luy presentant une bien apparante occasion
d'advantage ; il la refusa, dit-il, esperant avec un peu plus
de longueur, mais moins de hazard, venir à bout de ses ennemis.
    Il fit aussi là un merveilleux traict, de commander à tout son
ost, de passer à nage la riviere sans aucune necessité,
    rapuitque ruens in prælia
miles,
Quod fugiens timuisset iter, mox uda receptis
Membra fovent armis, gelidósque a gurgite, cursu
Restituunt artus
.
    Je le trouve un peu plus retenu et consideré en ses
entreprinses, qu'Alexandre : car cettuy-cy semble rechercher
et courir à force les dangers, comme un impetueux torrent, qui
choque et attaque sans discretion et sans chois, tout ce qu'il
rencontre.
    Sic tauri-formis volvitur
Aufidus,
Qui Regna Dauni perfluit Appuli
Dum sævit, horrendamque

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