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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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cuisse
percées ; et son escu faucé en deux cens trente lieux. Il est
advenu à plusieurs de ses soldats pris prisonniers, d'accepter
plustost la mort, que de vouloir promettre de prendre autre party.
Granius Petronius, pris par Scipion en Affrique ; Scipion
apres avoir faict mourir ses compagnons, luy manda qu'il luy
donnoit la vie, car il estoit homme de reng et questeur :
Petronius respondit que les soldats de Cæsar avoyent accoustumé de
donner la vie aux autres, non la recevoir ; et se tua tout
soudain de sa main propre.
    Il y a infinis exemples de leur fidelité : il ne faut pas
oublier le traict de ceux qui furent assiegez à Salone, ville
partizane pour Cæsar contre Pompeius, pour un rare accident qui y
advint. Marcus Octavius les tenoit assigez ; ceux de dedans
estans reduits en extreme necessité de toutes choses, en maniere
que pour suppleer au deffaut qu'ils avoyent d'hommes, la plus part
d'entre eux y estans morts et blessez, ils avoyent mis en liberté
tous leurs esclaves, et pour le service de leurs engins avoient
esté contraints de coupper les cheveux de toutes les femmes, affin
d'en faire des cordes ; outre une merveilleuse disette de
vivres ; et ce neantmoins resolus de jamais ne se
rendre : Apres avoir trainé ce siege en grande longueur, d'où
Octavius estoit devenu plus nonchalant, et moins attentif à son
entreprinse, ils choisirent un jour sur le midy, et comme ils
eurent rangé les femmes et les enfans sur leurs murailles, pour
faire bonne mine, sortirent en telle furie, sur les assiegeans,
qu'ayants enfoncé le premier, le second, et tiers corps de garde,
et le quatriesme, et puis le reste, et ayants faict du tout
abandonner les tranchées, les chasserent jusques dans les
navires : et Octavius mesmes se sauva à Dyrrachium, où estoit
Pompeius. Je n'ay point memoire pour cett' heure, d'avoir veu aucun
autre exemple, où les assiegez battent en gros les assiegeans, et
gaignent la maistrise de la campagne ; ny qu'une sortie ait
tiré en consequence, une pure et entiere victoire de battaille.

Chapitre 35 De trois bonnes femmes
    IL n'en est pas à douzaines, comme chacun sçait ; et
notamment aux devoirs de mariage : car c'est un marché plein
de tant d'espineuses circonstances, qu'il est malaisé que la
volonté d'une femme, s'y maintienne entiere long temps. Les hommes,
quoy qu'ils y soyent avec un peu meilleure condition, y ont trop
affaire.
    La touche d'un bon mariage, et sa vraye preuve, regarde le temps
que la societé dure ; si elle a esté constamment douce,
loyalle, et commode. En nostre siecle, elles reservent plus
communément, à estaller leurs bons offices, et la vehemence de leur
affection, envers leurs maris perdus : Cherchent au moins
lors, à donner tesmoignage de leur bonne volonté. Tardif
tesmoignage, et hors de saison. Elles preuvent plustost par là,
qu'elles ne les ayment que morts. La vie est pleine de combustion,
le trespas d'amour, et de courtoisie. Comme les peres cachent
l'affection envers leurs enfans, elles volontiers de mesmes,
cachent la leur envers le mary, pour maintenir un honneste respect.
Ce mystere n'est pas de mon goust : Elles ont beau
s'escheveler et s'esgratigner ; je m'en vois à l'oreille d'une
femme de chambre, et d'un secretaire : comment estoient-ils,
comment ont-ils vescu ensemble ; il me souvient tousjours de
ce bon mot,
jactantius mærent, quæ minus dolent
. Leur
rechigner est odieux aux vivans, et vain aux morts : Nous
dispenserons volontiers qu'on rie apres, pourveu qu'on nous rie
pendant la vie. Est-ce pas de quoy resusciter de despit : qui
m'aura craché au nez pendant que j'estoy, me vienne frotter les
pieds, quand je ne suis plus ? S'il y a quelque honneur à
pleurer les maris, il n'appartient qu'à celles qui leur ont
ry : celles qui ont pleuré en la vie, qu'elles rient en la
mort, au dehors comme au dedans. Aussi, ne regardez pas à ces yeux
moites, et à cette piteuse voix : regardez ce port, ce teinct,
et l'embonpoinct de ces jouës, soubs ces grands voiles : c'est
par là qu'elle parle François. Il en est peu, de qui la santé
n'aille en amendant, qualité qui ne sçait pas mentir : Cette
ceremonieuse contenance ne regarde pas tant derriere soy, que
devant ; c'est acquest, plus que payement. En mon enfance, une
honneste et tresbelle dame, qui vit encores, vefve d'un prince,
avoit je ne sçay quoy plus en sa parure, qu'il n'est permis par les
loix de nostre vefvage : à ceux qui le luy

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