Les Essais, Livre II
cultis
Diluviem meditatur agris
.
Aussi estoit-il embesongné en la fleur et premiere chaleur de
son aage ; là où Cæsar s'y print estant desja meur et bien
avancé. Outre ce, qu'Alexandre estoit d'une temperature plus
sanguine, cholere, et ardente : et si esmouvoit encore cette
humeur par le vin, duquel Cæsar estoit tres-abstinent : Mais
où les occasions de la necessité se presentoyent, et où la chose le
requeroit, il ne fut jamais homme faisant meilleur marché de sa
personne.
Quant à moy, il me semble lire en plusieurs de ses exploicts,
une certaine resolution de se perdre, pour fuyr la honte d'estre
vaincu. En cette grande battaille qu'il eut contre ceux de Tournay,
il courut se presenter à la teste des ennemis, sans bouclier, comme
il se trouva, voyant la pointe de son armée s'esbranler : ce
qui luy est advenu plusieurs autres-fois. Oyant dire que ses gens
estoyent assiegez, il passa desguisé au travers l'armée ennemie,
pour les aller fortifier de sa presence. Ayant traversé à
Dirrachium, avec bien petites forces, et voyant que le reste de son
armée qu'il avoit laissée à conduire à Antonius, tardoit à le
suivre, il entreprit luy seul de repasser la mer par une
tres-grande tormente : et se desroba, pour aller reprendre le
reste de ses forces ; les ports de delà, et toute la mer
estant saisie par Pompeius.
Et quant aux entreprises qu'il a faictes à main armée, il y en a
plusieurs, qui surpassent en hazard tout discours de raison
militaire : car avec combien foibles moyens, entreprint-il de
subjuger le Royaume d'Ægypte : et depuis d'aller attaquer les
forces de Scipion et de Juba, de dix parts plus grandes que les
siennes ? Ces gens là ont eu je ne sçay quelle plus qu'humaine
confiance de leur fortune : et disoit-il, qu'il falloit
executer, non pas consulter les hautes entreprises.
Apres la battaille de Pharsale, comme il eust envoyé son armée
devant en Asie, et passast avec un seul vaisseau, le destroit de
l'Hellespont, il rencontra en mer Lucius Cassius, avec dix gros
navires de guerre : il eut le courage non seulement de
l'attendre, mais de tirer droit vers luy, et le sommer de se
rendre : et en vint à bout. Ayant entrepris ce furieux siege
d'Alexia, où il y avoit quatre vingts mille hommes de deffence,
toute la Gaule s'estant eslevée pour luy courre sus, et lever le
siege, et dressé un' armée de cent neuf mille chevaux, et de deux
cens quarante mille hommes de pied, quelle hardiesse et maniacle
confiance fut-ce, de n'en vouloir abandonner son entreprise, et se
resoudre à deux si grandes difficultez ensemble ? Lesquelles
toutesfois il soustint : et apres avoir gaigné cette grande
battaille contre ceux de dehors, rengea bien tost à sa mercy ceux
qu'il tenoit enfermez. Il en advint autant à Lucullus, au siege de
Tigranocerta contre le Roy Tigranes, mais d'une condition
dispareille, veu la mollesse des ennemis, à qui Lucullus avoit
affaire.
Je veux icy remarquer deux rares evenemens et extraordinaires,
sur le faict de ce siege d'Alexia, l'un, que les Gaulois
s'assemblans pour venir trouver là Cæsar, ayans faict denombrement
de toutes leurs forces, resolurent en leur conseil, de retrancher
une bonne partie de cette grande multitude, de peur qu'ils n'en
tombassent en confusion. Cet exemple est nouveau, de craindre à
estre trop : mais à le bien prendre, il est vray-semblable,
que le corps d'une armée doit avoir une grandeur moderée, et reglée
à certaines bornes, soit pour la difficulté de la nourrir, soit
pour la difficulté de la conduire et tenir en ordre. Aumoins seroit
il bien aisé à verifier par exemple, que ces armées monstrueuses en
nombre, n'ont guere rien fait qui vaille.
Suivant le dire de Cyrus en Xenophon, ce n'est pas le nombre des
hommes, ains le nombre des bons hommes, qui faict
l'advantage : Le demeurant servant plus de destourbier que de
secours. Et Bajazet print le principal fondement à sa resolution,
de livrer journée à Tamburlan, contre l'advis de tous ses
Capitaines, sur ce, que le nombre innombrable des hommes de son
ennemy luy donnoit certaine esperance de confusion. Scanderbech bon
Juge et tres expert, avoit accoustumé de dire, que dix ou douze
mille combattans fideles, devoient baster à un suffisant chef de
guerre, pour garantir sa reputation en toute sorte de besoing
militaire.
L'autre poinct, qui semble estre contraire, et à l'usage, et à
la raison de la guerre, c'est que Vercingentorix, qui estoit nommé
chef et
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