Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
Vom Netzwerk:
reprochoient :
C'est, disoit elle, que je ne practique plus de nouvelles amitiez,
et suis hors de volonté de me remarier.
    Pour ne disconvenir du tout à nostre usage, j'ay icy choisi
trois femmes, qui ont aussi employé l'effort de leur bonté, et
affection, autour la mort de leurs maris : Ce sont pourtant
exemples un peu autres, et si pressans, qu'ils tirent hardiment la
vie en consequence.
    Pline le jeune avoit pres d'une sienne maison en Italie, un
voisin merveilleusement tourmenté de quelques ulceres, qui luy
estoient survenues és parties honteuses. Sa femme le voyant si
longuement languir, le pria de permettre, qu'elle veist à loisir et
de pres l'estat de son mal, et qu'elle luy diroit plus franchement
qu'aucun autre ce qu'il avoit à en esperer. Apres avoir obtenu cela
de luy, et l'avoir curieusement consideré, elle trouva qu'il estoit
impossible, qu'il en peust guerir, et que tout ce qu'il avoit à
attendre, c'estoit de trainer fort long temps une vie douloureuse
et languissante : si luy conseilla pour le plus seur et
souverain remede, de se tuer : Et le trouvant un peu mol, à
une si rude entreprise : Ne pense point, luy dit-elle, mon
amy, que les douleurs que je te voy souffrir ne me touchent autant
qu'à toy, et que pour m'en delivrer, je ne me vueille servir
moy-mesme, de cette medecine que je t'ordonne. Je te veux
accompagner à la guerison, comme j'ay faict à la maladie :
oste cette crainte, et pense que nous n'aurons que plaisir en ce
passage, qui nous doit delivrer de tels tourmens : nous nous
en irons heureusement ensemble.
    Cela dit, et ayant rechauffé le courage de son mary, elle
resolut qu'ils se precipiteroient en la mer, par une fenestre de
leur logis, qui y respondoit. Et pour maintenir jusques à sa fin,
cette loyale et vehemente affection, dequoy elle l'avoit embrassé
pendant sa vie, elle voulut encore qu'il mourust entre ses
bras ; mais de peur qu'ils ne luy faillissent, et que les
estraintes de ses enlassemens, ne vinssent à se relascher par la
cheute et la crainte, elle se fit lier et attacher bien
estroitement avec luy, par le faux du corps ; et abandonna
ainsi sa vie, pour le repos de celle de son mary.
    Celle-là estoit de bas lieu ; et parmy telle condition de
gens, il n'est pas si nouveau d'y voir quelque traict de rare
bonté,
    extrema per illos
Justitia excedens terris vestigia fecit
.
    Les autres deux sont nobles et riches, où les exemples de vertu
se logent rarement.
    Arria femme de Cecinna Pætus, personnage consulaire, fut mere
d'une autre Arria femme de Thrasea Pætus, celuy duquel la vertu fut
tant renommée du temps de Neron ; et par le moyen de ce
gendre, mere-grand de Fannia ; car la ressemblance des noms de
ces hommes et femmes, et de leurs fortunes, en a fait mesconter
plusieurs. Cette premiere Arria, Cecinna Pætus, son mary, ayant
esté prins prisonnier par les gens de l'Empereur Claudius, apres la
deffaicte de Scribonianus, duquel il avoit suivy le party :
supplia ceux qui l'emmenoient prisonnier à Rome, de la recevoir
dans leur navire, où elle leur seroit de beaucoup moins de despence
et d'incommodité, qu'un nombre de personnes, qu'il leur faudroit,
pour le service de son mary : et qu'elle seule fourniroit à sa
chambre, à sa cuisine, et à tous autres offices. Ils l'en
refuserent : et elle s'estant jettée dans un batteau de
pescheur, qu'elle loua sur le champ, le suyvit en cette sorte
depuis la Sclavonie. Comme ils furent à Rome, un jour, en presence
de l'Empereur, Junia vefve de Scribonianus, s'estant accostée
d'elle familierement, pour la societé de leurs fortunes, elle la
repoussa rudement avec ces parolles : Moy, dit-elle, que je
parle à toy, ny que je t'escoute, à toy, au giron de laquelle
Scribonianus fut tué, et tu vis encores ? Ces paroles, avec
plusieurs autres signes, firent sentir à ses parents, qu'elle
estoit pour se deffaire elle mesme, impatiente de supporter la
fortune de son mary. Et Thrasea son gendre, la suppliant sur ce
propos de ne se vouloir perdre, et luy disant ainsi :
Quoy ? si je courois pareille fortune à celle de Cecinna,
voudriez vous que ma femme vostre fille en fist de mesme ?
Comment donc ? si je le voudrois, respondit-elle : ouy,
ouy, je le voudrois, si elle avoit vescu aussi long temps, et
d'aussi bon accord avec toy, que j'ay faict avec mon mary. Ces
responces augmentoient le soing, qu'on avoit d'elle, et faisoient
qu'on regardoit de plus pres à ses deportemens. Un jour apres avoir
dict

Weitere Kostenlose Bücher