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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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pareilles entre les bestes.
Aristote dit, que la Seche jette de son col un boyau long comme une
ligne, qu'elle estand au loing en le laschant, et le retire à soy
quand elle veut : à mesure qu'elle apperçoit quelque petit
poisson s'approcher, elle luy laisse mordre le bout de ce boyau,
estant cachée dans le sable, ou dans la vase, et petit à petit le
retire jusques à ce que ce petit poisson soit si prés d'elle, que
d'un sault elle puisse l'attraper.
    Quant à la force, il n'est animal au monde en butte de tant
d'offences, que l'homme : il ne nous faut point une balaine,
un elephant, et un crocodile, ny tels autres animaux, desquels un
seul est capable de deffaire un grand nombre d'hommes : les
poulx sont suffisans pour faire vacquer la dictature de
Sylla : c'est le desjeuner d'un petit ver, que le coeur et la
vie d'un grand et triumphant Empereur.
    Pourquoy disons nous, que c'est à l'homme science et
cognoissance, bastie par art et par discours, de discerner les
choses utiles à son vivre, et au secours de ses maladies, de celles
qui ne le sont pas, de cognoistre la force de la rubarbe et du
polypode ; et quand nous voyons les chevres de Candie, si
elles ont receu un coup de traict, aller entre un million d'herbes
choisir le dictame pour leur guerison, et la tortue quand elle a
mangé de la vipere, chercher incontinent de l'origanum pour se
purger, le dragon fourbir et esclairer ses yeux avecques du fenoil,
les cigongnes se donner elles mesmes des clysteres à tout de l'eau
de marine, les elephans arracher non seulement de leur corps et de
leurs compagnons, mais des corps aussi de leurs maistres (tesmoin
celuy du Roy Porus qu'Alexandre deffit) les javelots et les dardz
qu'on leur a ettez au combat, et les arracher si dextrement, que
nous ne le sçaurions faire iavec si peu de douleur : pourquoy
ne disons nous de mesmes, que c'est science et prudence ? Car
d'alleguer, pour les deprimer, que c'est par la seule instruction
et maistrise de nature, qu'elles le sçavent, ce n'est pas leur
oster le tiltre de science et de prudence : c'est la leur
attribuer à plus forte raison qu'à nous, pour l'honneur d'une si
certaine maistresse d'escole.
    Chrysippus, bien qu'en toutes autres choses autant desdaigneux
juge de la condition des animaux, que nul autre Philosophe,
considerant les mouvements du chien, qui se rencontrant en un
carrefour à trois chemins, ou à la queste de son maistre qu'il a
esgaré, ou à la poursuitte de quelque proye qui fuit devant luy, va
essayant un chemin apres l'autre, et apres s'estre asseuré des
deux, et n'y avoir trouvé la trace de ce qu'il cherche, s'eslance
dans le troisiesme sans marchander : il est contraint de
confesser, qu'en ce chien là, un tel discours se passe : J'ay
suivy jusques à ce carre-four mon maistre à la trace, il faut
necessairement qu'il passe par l'un de ces trois chemins : ce
n'est ny par cettuy-cy, ny par celuy-là, il faut donc
infailliblement qu'il passe par cet autre : Et que s'asseurant
par cette conclusion et discours, il ne se sert plus de son
sentiment au troisiesme chemin, ny ne le sonde plus, ains s'y
laisse emporter par la force de la raison. Ce traict purement
dialecticien, et cet usage de propositions divisées et conjoinctes,
et de la suffisante enumeration des parties, vaut-il pas autant que
le chien le sçache de soy que de Trapezonce ?
    Si ne sont pas les bestes incapables d'estre encore instruites à
nostre mode. Les merles, les corbeaux, les pies, les perroquets,
nous leur apprenons à parler : et cette facilité, que nous
recognoissons à nous fournir leur voix et haleine si souple et si
maniable, pour la former et l'astreindre à certain nombre de
lettres et de syllabes, tesmoigne qu'ils ont un discours au dedans,
qui les rend ainsi disciplinables et volontaires à apprendre.
Chacun est saoul, ce croy-je, de voir tant de sortes de cingeries
que les batteleurs apprennent à leurs chiens : les dances, où
ils ne faillent une seule cadence du son qu'ils oyent ;
plusieurs divers mouvemens et saults qu'ils leur font faire par le
commandement de leur parolle : mais je remerque avec plus
d'admiration cet effect, qui est toutes-fois assez vulgaire, des
chiens dequoy se servent les aveugles, et aux champs et aux
villes : je me suis pris garde comme ils s'arrestent à
certaines portes, d'où ils ont accoustumé de tirer l'aumosne, comme
ils evitent le choc des coches et des charrettes, lors mesme que
pour leur regard, ils ont assez de

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