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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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place pour leur passage :
j'en ay veu le long d'un fossé de ville, laisser un sentier plain
et uni, et en prendre un pire, pour esloigner son maistre du fossé.
Comment pouvoit-on avoir faict concevoir à ce chien, que c'estoit
sa charge de regarder seulement à la seureté de son maistre, et
mespriser ses propres commoditez pour le servir ? et comment
avoit-il la cognoissance que tel chemin luy estoit bien assez
large, qui ne le seroit pas pour un aveugle ? Tout cela se
peut-il comprendre sans ratiocination ?
    Il ne faut pas oublier ce que Plutarque dit avoir veu à Rome
d'un chien, avec l'Empereur Vespasian le pere au Theatre de
Marcellus. Ce chien servoit à un batteleur qui joüoit une fiction à
plusieurs mines et à plusieurs personnages, et y avoit son rolle.
Il falloit entre autres choses qu'il contrefist pour un temps le
mort, pour avoir mangé de certaine drogue : apres avoir avallé
le pain qu'on feignoit estre cette drogue, il commença tantost à
trembler et branler, comme s'il eust esté estourdy :
finalement s'estendant et se roidissant, comme mort, il se laissa
tirer et trainer d'un lieu à autre, ainsi que portoit le subject du
jeu, et puis quand il cogneut qu'il estoit temps, il commença
premierement à se remuer tout bellement, ainsi que s'il se fust
revenu d'un profond sommeil, et levant la teste regarda çà et là
d'une façon qui estonnoit tous les assistans.
    Les boeufs qui servoyent aux jardins Royaux de Suse, pour les
arrouser et tourner certaines grandes rouës à puiser de l'eau,
ausquelles il y a des baquets attachez (comme il s'en voit
plusieurs en Languedoc) on leur avoit ordonné d'en tirer par jour
jusques à cent tours chacun, ils estoient si accoustumez à ce
nombre, qu'il estoit impossible par aucune force de leur en faire
tirer un tour davantage, et ayans faict leur tasche ils
s'arrestoient tout court. Nous sommes en l'adolescence avant que
nous sçachions compter jusques à cent, et venons de descouvrir des
nations qui n'ont aucune cognoissance des nombres.
    Il y a encore plus de discours à instruire autruy qu'à estre
instruit. Or laissant à part ce que Democritus jugeoit et prouvoit,
que la plus part des arts, les bestes nous les ont apprises :
Comme l'araignée à tistre et à coudre, l'arondelle à bastir, le
cigne et le rossignol la musique, et plusieurs animaux par leur
imitation à faire la medecine : Aristote tient que les
rossignols instruisent leurs petits à chanter, et y employent du
temps et du soing : d'où il advient que ceux que nous
nourrissons en cage, qui n'ont point eu loisir d'aller à l'escole
soubs leurs parens, perdent beaucoup de la grace de leur chant.
Nous pouvons juger par là, qu'il reçoit de l'amendement par
discipline et par estude : Et entre les libres mesme, il n'est
pas ung et pareil ; chacun en a pris selon sa capacité. Et sur
la jalousie de leur apprentissage, ils se debattent à l'envy, d'une
contention si courageuse, que par fois le vaincu y demeure mort,
l'aleine luy faillant plustost que la voix. Les plus jeunes
ruminent pensifs, et prennent à imiter certains couplets de
chanson : le disciple escoute la leçon de son precepteur, et
en rend compte avec grand soing : ils se taisent l'un tantost,
tantost l'autre : on oyt corriger les fautes, et sent-on
aucunes reprehensions du precepteur. J'ay veu (dit Arrius)
autresfois un elephant ayant à chacune cuisse un cymbale pendu, et
un autre attaché à sa trompe, au son desquels tous les autres
dançoyent en rond, s'eslevans et s'inclinans à certaines cadences,
selon que l'instrument les guidoit, et y avoit plaisir à ouyr cette
harmonie. Aux spectacles de Rome, il se voyoit ordinairement des
Elephans dressez à se mouvoir et dancer au son de la voix, des
dances à plusieurs entrelasseures, coupeures et diverses cadances
tres-difficiles à apprendre. Il s'en est veu, qui en leur privé
rememoroient leur leçon, et s'exerçoyent par soing et par estude
pour n'estre tancez et battuz de leurs maistres.
    Mais cett'autre histoire de la pie, de laquelle nous avons
Plutarque mesme pour respondant, est estrange : Elle estoit en
la boutique d'un barbier à Rome, et faisoit merveilles de
contrefaire avec la voix tout ce qu'elle oyoit ; Un jour il
advint que certaines trompettes s'arresterent à sonner long temps
devant cette boutique : depuis cela et tout le lendemain,
voyla ceste pie pensive, muette et melancholique ; dequoy tout
le monde estoit esmerveillé, et pensoit-on que le

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