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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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sont
parolles qui signifient quelque chose de grand : mais cette
chose là, nous ne la voyons aucunement, ny ne la concevons. Nous
disons que Dieu craint, que Dieu se courrouce, que Dieu ayme.
    Immortalia mortali sermone
notantes.
    Ce sont toutes agitations et esmotions, qui ne peuvent loger en
Dieu selon nostre forme, ny nous l'imaginer selon la sienne :
c'est à Dieu seul de se cognoistre et interpreter ses
ouvrages : et le fait en nostre langue, improprement, pour
s'avaller et descendre à nous, qui sommes à terre couchez. La
prudence comment luy peut elle convenir, qui est l'eslite entre le
bien et le mal : veu que nul mal ne le touche ? Quoy la
raison et l'intelligence, desquelles nous nous servons pour par les
choses obscures arriver aux apparentes : veu qu'il n'y a rien
d'obscur à Dieu ? la justice, qui distribue à chacun ce qui
luy appartient, engendrée pour la societé et communauté des hommes,
comment est-elle en Dieu ? La temperance, comment ? qui
est la moderation des voluptez corporelles, qui n'ont nulle place
en la divinité ? La fortitude à porter la douleur, le labeur,
les dangers, luy appartiennent aussi peu : ces trois choses
n'ayans nul accés pres de luy. Parquoy Aristote le tient egallement
exempt de vertu et de vice.
     
    Neque gratia neque ira teneri potest, quód quæ talia essent,
imbecilla essent omnia.
    La participation que nous avons à la cognoissance de la verité,
quelle qu'elle soit, ce n'est point par nos propres forces que nous
l'avons acquise. Dieu nous a assez appris cela par les tesmoings,
qu'il a choisi du vulgaire, simples et ignorans, pour nous
instruire de ses admirables secrets : Nostre foy ce n'est pas
nostre acquest, c'est un pur present de la liberalité d'autruy. Ce
n'est pas par discours ou par nostre entendement que nous avons
receu nostre religion, c'est par authorité et par commandement
estranger. La foiblesse de nostre jugement nous y ayde plus que la
force, et nostre aveuglement plus que nostre clair-voyance. C'est
par l'entremise de nostre ignorance, plus que de nostre science,
que nous sommes sçavans de divin sçavoir. Ce n'est pas merveille,
si nos moyens naturels et terrestres ne peuvent concevoir cette
cognoissance supernaturelle et celeste : apportons y seulement
du nostre, l'obeissance et la subjection : car comme il est
escrit ; Je destruiray la sapience des sages, et abbattray la
prudence des prudens. Où est le sage ? où est
l'escrivain ? où est le disputateur de ce siecle ? Dieu
n'a-il pas abesty la sapience de ce monde ? Car puis que le
monde n'a point cogneu Dieu par sapience, il luy a pleu par la
vanité de la predication, sauver les croyans.
    Si me faut-il voir en fin, s'il est en la puissance de l'homme
de trouver ce qu'il cherche : et si cette queste, qu'il y a
employé depuis tant de siecles, l'a enrichy de quelque nouvelle
force, et de quelque verité solide.
    Je croy qu'il me confessera, s'il parle en conscience, que tout
l'acquest qu'il a retiré d'une si longue poursuite, c'est d'avoir
appris à recognoistre sa foiblesse. L'ignorance qui estoit
naturellement en nous, nous l'avons par longue estude confirmée et
averée. Il est advenu aux gens veritablement sçavans, ce qui
advient aux espics de bled : ils vont s'eslevant et se
haussant la teste droite et fiere, tant qu'ils sont vuides ;
mais quand ils sont pleins et grossis de grain en leur maturité,
ils commencent à s'humilier et baisser les cornes. Pareillement les
hommes, ayans tout essayé, tout sondé, et n'ayans trouvé en cet
amas de science et provision de tant de choses diverses, rien de
massif et de ferme, et rien que vanité, ils ont renoncé à leur
presumption, et recogneu leur condition naturelle.
    C'est ce que Velleius reproche à Cotta, et à Cicero, qu'ils ont
appris de Philo, n'avoir rien appris : Pherecydes, l'un des
sept sages, escrivant à Thales, comme il expiroit, J'ay, dit-il,
ordonné aux miens, apres qu'ils m'auront enterré, de te porter mes
escrits. S'ils contentent et toy et les autres Sages, publie
les : sinon, supprime les. Ils ne contiennent nulle certitude
qui me satisface à moy-mesme. Aussi ne fay-je pas profession de
sçavoir la verité, ny d'y atteindre. J'ouvre les choses plus que je
ne les descouvre. Le plus sage homme qui fut onques, quand on luy
demanda ce qu'il sçavoit, respondit, qu'il sçavoit cela, qu'il ne
sçavoit rien. Il verifioit ce qu'on dit, que la plus grand part de
ce que nous sçavons, est la moindre de

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