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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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et manier la
creance et l'esperance, où il a pleu et servy à leurs chefs :
par dessus cent mescomtes, les uns sur les autres : par dessus
les fantosmes, et les songes. Je ne m'estonne plus de ceux, que les
singeries d'Apollonius et de Mahumed embufflerent. Leur sens et
entendement, est entierement estouffé en leur passion. Leur
discretion n'a plus d'autre choix, que ce qui leur rit, et qui
conforte leur cause. J'avoy remarqué souverainement cela, au
premier de noz partis fiebvreux. Cet autre, qui est nay depuis, en
l'imitant, le surmonte. Par où je m'advise, que c'est une qualité
inseparable des erreurs populaires. Apres la premiere qui part, les
opinions s'entrepoussent, suivant le vent, comme les flotz. On
n'est pas du corps, si on s'en peut desdire : si on ne vague
le train commun. Mais certes on faict tort aux partis justes, quand
on les veut secourir de fourbes. J'y ay tousjours contredict. Ce
moyen ne porte qu'envers les testes malades. Envers les saines, il
y a des voyes plus seures, et non seulement plus honnestes, à
maintenir les courages, et excuser les accidents contraires.
    Le ciel n'a point veu un si poisant desaccord, que celuy de
Cæsar, et de Pompeius ; ny ne verra pour l'advenir. Toutesfois
il me semble recognoistre en ces belles ames, une grande moderation
de l'un envers l'autre. C'estoit une jalousie d'honneur et de
commandement, qui ne les emporta pas à hayne furieuse et
indiscrette ; sans malignité et sans detraction. En leurs plus
aigres exploicts, je descouvre quelque demeurant de respect, et de
bien-vueillance. Et juge ainsi ; que s'il leur eust esté
possible, chacun d'eux eust desiré de faire son affaire sans la
ruyne de son compagnon, plus tost qu'avec sa ruyne. Combien
autrement il en va de Marius, et de Sylla : prenez y
garde.
    Il ne faut pas se precipiter si esperduement apres noz
affections, et interestz. Comme estant jeune, je m'opposois au
progrez de l'amour, que je sentoy trop avancer sur moy ; et
m'estudiois qu'il ne me fust si aggreable, qu'il vinst à me forcer
en fin, et captiver du tout à sa mercy. J'en use de mesme à toutes
autres occasions, où ma volonté se prend avec trop d'appetit. Je me
panche à l'opposite de son inclination, comme je la voy se plonger,
et enyvrer de son vin : Je fuis à nourrir son plaisir si
avant, que je ne l'en puisse plus r'avoir, sans perte
sanglante.
    Les ames qui par stupidité ne voyent les choses qu'à demy,
jouissent de cet heur, que les nuisibles les blessent moins. C'est
une ladrerie spirituelle, qui a quelque air de santé ; et
telle santé, que la philosophie ne mesprise pas du tout. Mais
pourtant, ce n'est pas raison de la nommer sagesse ; ce que
nous faisons souvent : Et de cette maniere se moqua quelqu'un
anciennement de Diogenes, qui alloit embrassant en plein hyver tout
nud, une image de neige pour l'essay de sa patience : Celuy-là
le rencontrant en cette desmarche : As tu grand froid à cette
heure, luy dit-il ? Du tout point, respond Diogenes : Or
suivit l'autre : Que penses-tu donc faire de difficile, et
d'exemplaire à te tenir là ? Pour mesurer la constance, il
faut necessairement sçavoir la souffrance.
    Mais les ames qui auront à voir les evenemens contraires, et les
injures de la fortune, en leur profondeur et aspreté, qui auront à
les poiser et gouster, selon leur aigreur naturelle, et leur
charge, qu'elles emploient leur art, à se garder d'en enfiler les
causes, et en destournent les advenues. Que fit le Roy Cotys ?
il paya liberalement la belle et riche vaisselle qu'on lui avoit
presentée : mais parce qu'elle estoit singulierement fragile,
il la cassa incontinent luy-mesme ; pour s'oster de bonne
heure une si aisée matiere de courroux contre ses serviteurs.
Pareillement, j'ay volontiers evité de n'avoir mes affaires
confus : et n'ay cherché, que mes biens fussent contigus à mes
proches : et ceux à qui j'ay à me joindre d'une estroitte
amitié : d'où naissent ordinairement matieres d'alienation et
dissociation. J'aymois autresfois les jeux hazardeux des cartes et
detz ; Je m'en suis deffaict, il y a long temps ; pour
cela seulement, que quelque bonne mine que je fisse en ma perte, je
ne laissois pas d'en avoir au dedans de la picqueure. Un homme
d'honneur, qui doit sentir un desmenti, et une offence jusques au
coeur, qui n'est pour prendre une mauvaise excuse en payement et
connsolation, qu'il evite le progrez des altercations
contentieuses. Je fuis les complexions tristes,

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