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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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occasions : il faut d'atteinte,
sans tourment, et sans affliction, prest et entier pour une
nouvelle entreprise : il marche tousjours la bride à la main.
En celuy qui est enyvré de cette intention violente et tyrannique,
on voit par necessité beaucoup d'imprudence et d'injustice.
L'impetuosité de son desir l'emporte. Ce sont mouvemens temeraires,
et, si fortune n'y preste beaucoup, de peu de fruict. La
philosophie veut qu'au chastiement des offences receuës, nous en
distrayons la cholere : non afin que la vengeance en soit
moindre, ains au rebours, afin qu'elle en soit d'autant mieux
assenee et plus poisante : A quoy il luy semble que cette
impetuosité porte empeschement. Non seulement la cholere
trouble : mais de soy, elle lasse aussi les bras de ceux qui
chastient. Ce feu estourdit et consomme leur force. Comme en la
precipitation,
festinatio tarda est
. La hastiveté se donne
elle mesme la jambe, s'entrave et s'arreste.
Ipsa se velocitas
implicat
. Pour exemple. Selon ce que j'en vois par usage
ordinaire, l'avarice n'a point de plus grand destourbier que
soy-mesme. Plus elle est tendue et vigoureuse, moins elle en est
fertile. Communement elle attrape plus promptement les richesses,
masquée d'un image de liberalité.
    Un gentil-homme tres-homme de bien, et mon amy, cuyda brouiller
la santé de sa teste, par une trop passionnée attention et
affection aux affaires d'un Prince, son maistre. Lequel maistre,
s'est ainsi peinct soy-mesmes à moy : Qu'il voit le poix des
accidens, comme un autre : mais qu'à ceux qui n'ont point de
remede, il se resoult soudain à la souffrance : aux autres,
apres y avoir ordonné les provisions necessaires, ce qu'il peut
faire promptement par la vivacité de son esprit, il attend en repos
ce qui s'en peut ensuivre. De vray, je l'ay veu à mesme, maintenant
une grande nonchalance et liberté d'actions et de visage, au
travers de bien grands affaires et bien espineux. Je le trouve plus
grand et plus capable, en une mauvaise, qu'en une bonne fortune.
Ses pertes luy sont plus glorieuses, que ses victoires, et son
deuil que son triomphe.
    Considerez, qu'aux actions mesmes qui sont vaines et
frivoles : au jeu des eschecs, de la paulme, et semblables,
cet engagement aspre et ardant d'un desir impetueux, jette
incontinent l'esprit et les membres, à l'indiscretion, et au
desordre. On s'esblouit, on s'embarasse soy mesme. Celuy qui se
porte plus moderément envers le gain, et la perte, il est tousjours
chez soy. Moins il se pique et passionne au jeu, il le conduit
d'autant plus avantageusement et seurement.
    Nous empeschons au demeurant, la prise et la serre de l'ame, à
luy donner tant de choses à saisir. Les unes, il les luy faut
seulement presenter, les autres attacher, les autres incorporer.
Elle peut voir et sentir toutes choses, mais elle ne se doit
paistre que de soy : Et doit estre instruicte, de ce qui la
touche proprement, et qui proprement est de son avoir, et de sa
substance. Les loix de nature nous apprennent ce que justement, il
nous faut. Apres que les sages nous ont dit, que selon elle
personne n'est indigent, et que chacun l'est selon l'opinion, ils
distinguent ainsi subtilement, les desirs qui viennent d'elle, de
ceux qui viennent du desreglement de nostre fantasie. Ceux desquels
on voit le bout, sont siens, ceux qui fuyent devant nous, et
desquels nous ne pouvons joindre la fin, sont nostres. La pauvreté
des biens, est aisée à guerir ; la pauvreté de l'ame,
impossible.
    Nam si, quod satis est homini, id satis esse
potesset,
Hoc sat erat : nunc, quum hoc non est, quî credimus
porro,
Divitias ullas animum mi explere potesse ?
    Socrates voyant porter en pompe par sa ville, grande quantité de
richesse, joyaux et meubles de prix : Combien de choses,
dit-il, je ne desire point ! Metrodorus vivoit du poix de
douze onces par jour, Epicurus à moins : Metroclez dormoit en
hyver avec les moutons, en esté aux cloistres des Eglises.
Sufficit ad id natura, quod poscit
. Cleanthes vivoit de
ses mains, et se vantoit, que Cleanthes, s'il vouloit, nourriroit
encore un autre Cleanthes.
    Si ce que nature exactement, et originelement nous demande, pour
la conservation de nostre estre, est trop peu (comme de vray
combien ce l'est, et combien à bon comte nostre vie se peut
maintenir, il ne se doit exprimer mieux que par cette
consideration ; Que c'est si peu, qu'il eschappe la prise et
le choc de la fortune, par sa petitesse) dispensons nous de quelque
chose plus

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