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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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contraire. Les hommes sont divers en sentiment et en
force : il les faut mener à leur bien, selon eux : et par
routes diverses.
Quo me cumque rapit tempestas, deferor
hospes
. Je ne vy jamais paysan de mes voisins, entrer en
cogitation de quelle contenance, et asseurance, il passeroit ceste
heure derniere : Nature luy apprend à ne songer à la mort, que
quand il se meurt. Et lors il y a meilleure grace
qu'Aristote : lequel la mort presse doublement, et par elle,
et par une si longue premeditation. Pourtant fut-ce l'opinion de
Cæsar, que la moins premeditee mort, estoit la plus heureuse, et
plus deschargee.
Plus dolet, quàm necesse est, qui antè dolet,
quàm necesse est
. L'aigreur de ceste imagination, naist de
nostre curiosité. Nous nous empeschons tousjours ainsi :
voulans devancer et regenter les prescriptions naturelles. Ce n'est
qu'aux docteurs, d'en disner plus mal, tous sains, et se
renfroigner de l'image de la mort. Le commun, n'a besoing ny de
remede ny de consolation, qu'au hurt, et au coup. Et n'en considere
qu'autant justement qu'il en souffre. Est-ce pas ce que nous
disons, que la stupidité, et faute d'apprehension, du vulgaire, luy
donne ceste patience aux maux presens, et ceste profonde
nonchalance des sinistres accidens futurs ? Que leur ame pour
estre plus crasse, et obtuse, est moins penetrable et
agitable ? Pour Dieu s'il est ainsi, tenons d'ores en avant
escole de bestise. C'est l'extreme fruit, que les sciences nous
promettent, auquel ceste-cy conduict si doucement ses
disciples.
    Nous n'aurons pas faute de bons regens, interpretes de la
simplicité naturelle. Socrates en sera l'un. Car de ce qu'il m'en
souvient, il parle environ en ce sens, aux juges qui deliberent de
sa vie : J'ay peur, messieurs, si je vous prie de ne me faire
mourir, que je m'enferre en la delation de mes accusateurs ;
qui est. Que je fais plus l'entendu que les autres ; comme
ayant quelque cognoissance plus cachee, des choses qui sont au
dessus et au dessous de nous. Je sçay que je n'ay ni frequenté, ny
recogneu la mort, ni n'ay veu personne qui ait essayé ses qualitez,
pour m'en instruire. Ceux qui la craignent presupposent la
cognoistre : quant à moy, je ne sçay ny quelle elle est, ny
quel il faict en l'autre monde. A l'avanture est la mort chose
indifferente, à l'avanture desirable. Il est à croire pourtant, si
c'est une transmigration d'une place à autre, qu'il y a de
l'amendement, d'aller vivre avec tant de grands personnages
trespassez : et d'estre exempt d'avoir plus affaire à juges
iniques et corrompus : Si c'est un aneantissement de nostre
estre, c'est encore amendement d'entrer en une longue et paisible
nuit. Nous ne sentons rien de plus doux en la vie, qu'un repos et
sommeil tranquille, et profond sans songes. Les choses que je sçay
estre mauvaises, comme d'offencer son prochain, et desobeir au
superieur, soit Dieu, soit homme, je les evite soigneusement :
celles desquelles je ne sçay, si elles sont bonnes ou mauvaises, je
ne les sçaurois craindre. Si je m'en vay mourir, et vous laisse en
vie : les Dieux seuls voyent, à qui, de vous ou de moy, il en
ira mieux. Parquoy pour mon regard, vous en ordonnerez, comme il
vous plaira. Mais selon ma façon de conseiller les choses justes et
utiles, je dy bien, que pour vostre conscience vous ferez mieux de
m'eslargir, si vous ne voyez plus avant que moy en ma cause. Et
jugeant selon mes actions passees, et publiques, et privees, selon
mes intentions, et selon le profit, que tirent tous les jours de ma
conversation tant de nos citoyens, jeunes et vieux, et le fruit,
que je vous fay à tous, vous ne pouvez duëment vous descharger
envers mon merite, qu'en ordonnant, que je sois nourry, attendu ma
pauvreté, au Prytanee, aux despens publiques : ce que souvent
je vous ay veu à moindre raison, octroyer à d'autres. Ne prenez pas
à obstination ou desdaing, que, suyvant la coustume, je n'aille
vous suppliant et esmouvant à commiseration. J'ay des amis et des
parents, n'estant, comme dict Homere, engendré ny de bois, ny de
pierre non plus que les autres : capables de se presenter,
avec des larmes, et le dueil : et ay trois enfans esplorez,
dequoy vous tirer à pitié. Mais je feroy honte à nostre ville, en
l'aage que je suis, et en telle reputation de sagesse, que m'en
voyci en prevention, de m'aller desmettre à si lasches contenances.
Que diroit-on des autres Atheniens ? J'ay tousjours admonnesté
ceux qui m'ont ouy parler, de ne

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