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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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racheter leur vie, par une action
deshonneste. Et aux guerres de mon pays à Amphipolis, à Potidee, à
Delie, et autres où je me suis trouvé, j'ay montré par effect,
combien j'estoy loing de garentir ma seureté par ma honte.
D'avantage j'interesserois vostre devoir, et vous convierois à
choses laydes : car ce n'est pas à mes prieres de vous
persuader : c'est aux raisons pures et solides de la justice.
Vous avez juré aux Dieux d'ainsi vous maintenir. Il sembleroit, que
je vous vousisse soupçonner et recriminer, de ne croire pas, qu'il
y en aye. Et moy mesme tesmoigneroy contre moy, de ne croire point
en eux, comme je doy : me deffiant de leur conduicte, et ne
remettant purement en leurs mains mon affaire. Je m'y fie du
tout : et tiens pour certain, qu'ils feront en cecy, selon
qu'il sera plus propre à vous et à moy. Les gens de bien ny vivans,
ny morts, n'ont aucunement à se craindre des Dieux.
    Voyla pas un playdoyé puerile, d'une hauteur inimaginable, et
employé en quelle necessité ? Vrayement ce fut raison, qu'il
le preferast à celuy, que ce grand Orateur Lysias, avoit mis par
escrit pour luy : excellemment façonné au stile
judiciaire : mais indigne d'un si noble criminel : Eust
on ouï de la bouche de Socrates une voix suppliante ? ceste
superbe vertu, eust elle calé, au plus fort de sa montre ? Et
sa riche et puissante nature, eust elle commis à l'art sa
defense : et en son plus haut essay, renoncé à la verité et
naïveté, ornemens de son parler, pour se parer du fard, des
figures, et feintes, d'une oraison apprinse ? Il feit
tressagement, et selon luy, de ne corrompre une teneur de vie
incorruptible, et une si saincte image de l'humaine forme, pour
allonger d'un an sa decrepitude : et trahir l'immortelle
memoire de ceste fin glorieuse. Il devoit sa vie, non pas à soy,
mais à l'exemple du monde. Seroit ce pas dommage publique, qu'il
l'eust achevee d'une oysive et obscure façon ?
    Certes une si nonchallante et molle consideration de sa mort,
meritoit que la posterité la considerast d'autant plus pour
luy : Ce qu'elle fit. Et il n'y a rien en la justice si juste,
que ce que la fortune ordonna pour sa recommandation. Car les
Atheniens eurent en telle abomination ceux, qui en avoient esté
cause, qu'on les fuyoit comme personnes excommuniees : On
tenoit pollu tout ce, à quoy ils avoient touché : personne à
l'estuve ne lavoit avec eux, personne ne les saluoit ni
accointoit : si qu'en fin ne pouvant plus porter ceste haine
publique, ils se pendirent eux mesmes.
    Si quelqu'un estime, que parmy tant d'autres exemples que
j'avois à choisir pour le service de mon propos, és dits de
Socrates, j'aye mal trié cestuy-cy : et qu'il juge, ce
discours estre eslevé au dessus des opinions communes : Je
l'ay faict à escient : car je juge autrement : Et tiens
que c'est un discours, en rang, et en naïfveté bien plus arriere,
et plus bas, que les opinions communes. Il represente en une
hardiesse inartificielle et securité enfantine la pure et premiere
impression et ignorance de nature. Car il est croyable, que nous
avons naturellement crainte de la douleur ; mais non de la
mort, à cause d'elle. C'est une partie de nostre estre, non moins
essentielle que le vivre. A quoy faire, nous en auroit nature
engendré la haine et l'horreur, veu qu'elle luy tient rang de
tres-grande utilité, pour nourrir la succession et vicissitude de
ses ouvrages ? Et qu'en cette republique universelle, elle
sert plus de naissance et d'augmentation, que de perte ou
ruyne :
    sic rerum summa novatur :
mille, animas una necata dedit.
    La deffaillance d'une vie, est le passage à mille autres vies.
Nature a empreint aux bestes, le soing d'elles et de leur
conservation. Elles vont jusques-là, de craindre leur
empirement : de se heurter et blesser : que nous les
enchevestrions et battions, accidents subjects à leur sens et
experience : Mais que nous les tuions, elles ne le peuvent
craindre, ny n'ont la faculté d'imaginer et conclurre la mort. Si
dit-on encore qu'on les void, non seulement la souffrir
gayement : la plus-part des chevaux hannissent en mourant, les
cygnes la chantent : Mais de plus, la rechercher à leur
besoing ; comme portent plusieurs exemples des elephans.
    Outre ce, la façon d'argumenter, de laquelle se sert icy
Socrates, est-elle pas admirable esgallement, en simplicité et en
vehemence ? Vrayment il est bien plus aisé, de parler comme
Aristote, et vivre comme Cæsar,

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