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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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toutesfois elle a quelque
consideration. Et si j'avois à les foyter, ce seroit plus rudement,
les meschans qui dementent et trahissent les promesses que nature
leur avoit plantées au front. Je punirois plus aigrement la malice,
en une apparence debonnaire. Il semble qu'il y ait aucuns visages
heureux, d'autres mal-encontreux : Et crois, qu'il y a quelque
art, à distinguer les visages debonnaires des niais, les severes
des rudes, les malicieux des chagrins, les desdaigneux des
melancholiques, et telles autres qualitez voisines. Il y a des
beautez, non fieres seulement, mais aigres : il y en a
d'autres douces, et encores au delà, fades. D'en prognostiquer les
avantures futures ; ce sont matieres que je laisse
indecises.
    J'ay pris, comme j'ay dict ailleurs, bien simplement et
cruëment, pour mon regard, ce precepte ancien : Que nous ne
sçaurions faillir à suivre nature : que le souverain precepte,
c'est de se conformer à elle. Je n'ay pas corrigé comme Socrates,
par la force de la raison, mes complexions naturelles : et
n'ay aucunement troublé par art, mon inclination. Je me laisse
aller, comme je suis venu. Je ne combats rien. Mes deux maistresses
pieces vivent de leur grace en paix et bon accord : mais le
laict de ma nourrice a esté, Dieu mercy, mediocrement sain et
temperé.
    Diray-je cecy en passant : que je voy tenir en plus de prix
qu'elle ne vaut, qui est seule quasi en usage entre nous, certaine
image de preud'hommie scholastique, serve des preceptes,
contraincte soubs l'esperance et la crainte ? Je l'aime telle
que loix et religions, non facent, mais parfacent, et
authorisent : qui se sente dequoy se soustenir sans
aide : née en nous de ses propres racines, par la semence de
la raison universelle, empreinte en tout homme non desnaturé. Cette
raison, qui redresse Socrates de son vicieux ply, le rend obeïssant
aux hommes et aux Dieux, qui commandent en sa ville :
courageux en la mort, non parce que son ame est immortelle, mais
parce qu'il est mortel. Ruineuse instruction à toute police, et
bien plus dommageable qu'ingenieuse et subtile, qui persuade aux
peuples, la religieuse creance suffire seule, et sans les moeurs, à
contenter la divine justice. L'usage nous faict veoir, une
distinction enorme, entre la devotion et la conscience.
    J'ay une apparence favorable, et en forme et en
interpretation.
    Quid dixi habere me ? Imo habui
Chreme 
:
H
eu tantum attriti corporis ossa vides
.
    Et qui faict une contraire montre à celle de Socrates. Il m'est
souvent advenu, que sur le simple credit de ma presence, et de mon
air, des personnes qui n'avoient aucune cognoissance de moy, s'y
sont grandement fiées, soit pour leurs propres affaires, soit pour
les miennes. Et en ay tiré és païs estrangers des faveurs
singulieres et rares. Mais ces deux experiences, valent à
l'avanture, que je les recite particulierement.
    Un quidam delibera de surprendre ma maison et moy. Son art fut,
d'arriver seul à ma porte, et d'en presser un peu instamment
l'entrée. Je le cognoissois de nom, et avois occasion de me fier de
luy, comme de mon voisin et aucunement mon allié. Je luy fis ouvrir
comme je fais à chacun. Le voicy tout effroyé, son cheval hors
d'haleine, fort harassé. Il m'entretint de cette fable : Qu'il
venoit d'estre rencontré à une demie liuë de là, par un sien
ennemy, lequel je cognoissois aussi, et avois ouy parler de leur
querelle : que cet ennemy luy avoit merveilleusement chaussé
les esperons : et qu'ayant esté surpris en desarroy et plus
foible en nombre, il s'estoit jetté à ma porte à sauveté. Qu'il
estoit en grand peine de ses gens, lesquels il disoit tenir pour
morts ou prins. J'essayay tout naïfvement de le conforter,
asseurer, et refreschir. Tantost apres, voila quatre ou cinq de ses
soldats, qui se presentent en mesme contenance, et effroy, pour
entrer : et puis d'autres, et d'autres encores apres, bien
equippez, et bien armez : jusques à vingt cinq ou trante,
feignants avoir leur ennemy aux talons. Ce mystere commençoit à
taster mon soupçon. Je n'ignorois pas en quel siecle je vivois,
combien ma maison pouvoit estre enviée, et avois plusieurs exemples
d'autres de ma cognoissance, à qui il estoit mes-advenu de mesme.
Tant y a, que trouvant qu'il n'y avoit point d'acquest d'avoir
commencé à faire plaisir, si je n'achevois, et ne pouvant me
deffaire sans tout rompre ; je me laissay aller au party le
plus naturel et le plus simple ; comme je fais
tousjours :

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