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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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commendant qu'ils entrassent. Aussi à la verité,
je suis peu deffiant et soupçonneux de ma nature. Je panche
volontiers vers l'excuse, et l'interpretation plus douce. Je prens
les hommes selon le commun ordre, et ne croy pas ces inclinations
perverses et desnaturées, si je n'y suis forcé par grand
tesmoignage ; non plus que les monstres et miracles. Et suis
homme en outre, qui me commets volontiers à la fortune, et me
laisse aller à corps perdu, entre ses bras : Dequoy jusques à
cette heure j'ay eu plus d'occasion de me louër, que de me
plaindre : Et l'ay trouvée et plus avisée, et plus amie de mes
affaires, que je ne suis. Il y a quelques actions en ma vie,
desquelles on peut justement nommer la conduite difficile ;
ou, qui voudra, prudente. De celles-là mesmes, posez, que la tierce
partie soit du mien, certes les deux tierces sont richement à elle.
Nous faillons, ce me semble, en ce que nous ne nous fions pas assez
au ciel de nous. Et pretendons plus de nostre conduite, qu'il ne
nous appartient. Pourtant fourvoyent si souvent nos desseins. Il
est envieux de l'estenduë, que nous attribuons aux droicts de
l'humaine prudence, au prejudice des siens. Et nous les racourcit
d'autant plus, que nous les amplifions.
    Ceux-cy se tindrent à cheval, en ma cour : le chef avec moy
dans ma sale, qui n'avoit voulu qu'on establast son cheval, disant
avoir à se retirer incontinent qu'il auroit eu nouvelles de ses
hommes. Il se veid maistre de son entreprinse : et n'y restoit
sur ce poinct, que l'execution. Souvent depuis il a dict (car il ne
craignoit pas de faire ce conte) que mon visage, et ma franchise,
luy avoient arraché la trahison des poings. Il remonte à cheval,
ses gens ayants continuellement les yeux sur luy, pour voir quel
signe il leur donneroit : bien estonnez de le voir sortir et
abandonner son advantage.
    Une autrefois, me fiant à je ne sçay quelle treve, qui venoit
d'estre publiée en nos armées, je m'acheminay à un voyage, par païs
estrangement chatoüilleux. Je ne fus pas si tost esventé, que voila
trois ou quatre cavalcades de divers lieux pour m'attraper :
L'une me joignit à la troisiesme journée : où je fus chargé
par quinze ou vingt Gentils-hommes masquez, suivis d'une ondée
d'argoulets. Me voila pris et rendu, retiré dans l'espais d'une
forest voisine, desmonté, devalizé, mes cofres fouillez, ma boite
prise, chevaux et esquipage dispersé à nouveaux maistres. Nous
fusmes long temps à contester dans ce halier, sur le faict de ma
rançon : qu'ils me tailloient si haute, qu'il paroissoit bien
que je ne leur estois guere cogneu. Ils entrerent en grande
contestation de ma vie. De vray, il y avoit plusieurs
circonstances, qui me menassoyent du danger où j'en estois.
    Tunc animis opus, Ænea, tunc pectore
firmo
.
    Je me maintins tousjours sur le tiltre de ma trefve, à leur
quitter seulement le gain qu'ils avoient faict de ma despouille,
qui n'estoit pas à mespriser, sans promesse d'autre rançon. Apres
deux ou trois heures, que nous eusmes esté là, et qu'ils m'eurent
faict monter sur un cheval, qui n'avoit garde de leur eschapper, et
commis ma conduicte particuliere à quinze ou vingt harquebusiers,
et dispersé mes gens à d'autres, ayant ordonné qu'on nous menast
prisonniers, diverses routes, et moy desja acheminé à deux ou trois
harquebusades de là,
    Jam prece Pollucis jam Castoris
implorata 
:
    voicy une soudaine et tres-inopinée mutation qui leur print. Je
vis revenir à moy le chef, avec paroles plus douces : se
mettant en peine de rechercher en la trouppe mes hardes escartées,
et me les faisant rendre, selon qu'il s'en pouvoit recouvrer,
jusques à ma boite. Le meilleur present qu'ils me firent, ce fut en
fin ma liberté : le reste ne me touchoit gueres en ce
temps-là. La vraye cause d'un changement si nouveau, et de ce
ravisement, sans aucune impulsion apparente, et d'un repentir si
miraculeux, en tel temps, en une entreprinse pourpensée et
deliberée, et devenue juste par l'usage, (car d'arrivée je leur
confessay ouvertement le party duquel j'estois, et le chemin que je
tenois) certes je ne sçay pas bien encores quelle elle est. Le plus
apparent qui se demasqua, et me fit cognoistre son nom, me redist
lors plusieurs fois, que je devoy cette delivrance à mon visage,
liberté, et fermeté de mes parolles, qui me rendoient indigne d'une
telle mes-adventure, et me demanda asseurance d'une pareille. Il
est possible, que la bonté divine se voulut

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