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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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servir de ce vain
instrument pour ma conservation. Elle me deffendit encore lendemain
d'autres pires embusches, desquelles ceux-cy mesme m'avoient
adverty. Le dernier est encore en pieds, pour en faire le
conte : le premier fut tué il n'y a pas long temps.
    Si mon visage ne respondoit pour moy, si on ne lisoit en mes
yeux, et en ma voix, la simplicité de mon intention, je n'eusse pas
duré sans querelle, et sans offence, si long temps : avec
cette indiscrette liberté, de dire à tort et à droict, ce qui me
vient en fantasie, et juger temerairement des choses. Cette façon
peut paroistre avec raison incivile, et mal accommodée à nostre
usage : mais outrageuse et malitieuse, je n'ay veu personne
qui l'en ait jugée : ny qui se soit piqué de ma liberté, s'il
l'a receuë de ma bouche. Les paroles redites, ont comme autre son,
autre sens. Aussi ne hay-je personne. Et suis si lasche à offencer,
que pour le service de la raison mesme, je ne le puis faire. Et
lors que l'occasion m'a convié aux condemnations criminelles, j'ay
plustost manqué à la justice.
Ut magis peccari nolim, quàm
satis animi, ad vindicanda peccata habeam
. On reprochoit, dit
on, à Aristote, d'avoir esté trop misericordieux envers un meschant
homme : J'ay esté de vray, dit-il, misericordieux envers
l'homme, non envers la meschanceté. Les jugements ordinaires,
s'exasperent à la punition par l'horreur du meffaict. Cela mesme
refroidit le mien. L'horreur du premier meurtre ; m'en faict
craindre un second. Et la laideur de la premiere cruauté m'en faict
abhorrer toute imitation. A moy, qui ne suis qu'escuyer de trefles,
peut toucher, ce qu'on disoit de Charillus Roy de Sparte : Il
ne sçauroit estre bon, puis qu'il n'est pas mauvais aux meschans.
Ou bien ainsi : car Plutarque le presente en ces deux sortes,
comme mille autres choses diversement et contrairement : Il
faut bien qu'il soit bon, puis qu'il l'est aux meschants mesme. De
mesme qu'aux actions legitimes, je me fasche de m'y employer, quand
c'est envers ceux qui s'en desplaisent : aussi à dire verité,
aux illegitimes, je ne fay pas assez de conscience, de m'y
employer, quand c'est envers ceux qui y consentent.

Chapitre 13 De l'experience
    IL N'EST desir plus naturel que le desir de cognoissance. Nous
essayons tous les moyens qui nous y peuvent mener. Quand la raison
nous faut, nous y employons l'experience :
    Per varios usus artem experientia
fecit :
Exemplo monstrante viam
.
    Qui est un moyen de beaucoup plus foible et plus vil. Mais la
verité est chose si grande, que nous ne devons desdaigner aucune
entremise qui nous y conduise. La raison a tant de formes, que nous
ne sçavons à laquelle nous prendre. L'experience n'en a pas moins.
La consequence que nous voulons tirer de la conference des
evenemens, est mal seure, d'autant qu'ils sont tousjours
dissemblables. Il n'est aucune qualité si universelle, en cette
image des choses, que la diversité et varieté. Et les Grecs, et les
Latins, et nous, pour le plus expres exemple de similitude, nous
servons de celuy des oeufs. Toutesfois il s'est trouvé des hommes,
et notamment un en Delphes, qui recognoissoit des marques de
difference entre les oeufs, si qu'il n'en prenoit jamais l'un pour
l'autre. Et y ayant plusieurs poules, sçavoit juger de laquelle
estoit l'oeuf. La dissimilitude s'ingere d'elle-mesme en nos
ouvrages, nul art peut arriver à la similitude. Ny Perrozet ny
autre, ne peut si soigneusement polir et blanchir l'envers de ses
cartes, qu'aucuns joueurs ne les distinguent, à les voir seulement
couler par les mains d'un autre. La ressemblance ne faict pas tant,
un, comme la difference faict, autre. Nature s'est obligée à ne
rien faire autre, qui ne fust dissemblable.
    Pourtant, l'opinion de celuy-là ne me plaist guere, qui pensoit
par la multitude des loix, brider l'authorité des juges, en leur
taillant leurs morceaux. Il ne sentoit point, qu'il y a autant de
liberté et d'estenduë à l'interpretation des loix, qu'à leur façon.
Et ceux-là se moquent, qui pensent appetisser nos debats, et les
arrester, en nous r'appellant à l'expresse parolle de la Bible.
D'autant que nostre esprit ne trouve pas le champ moins spatieux, à
contreroller le sens d'autruy, qu'à representer le sien : Et
comme s'il y avoit moins d'animosité et d'aspreté à gloser qu'à
inventer. Nous voyons, combien il se trompoit. Car nous avons en
France, plus de loix que tout le reste du monde ensemble ; et
plus qu'il n'en

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