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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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et
circonstances des passions qui le regentent, comme j'ay faict de
celle à qui j'estois tombé en partage : il les verroit
venir : et rallentiroit un peu leur impetuosité et leur
course : Elles ne nous sautent pas tousjours au collet d'un
prinsault, il y a de la menasse et des degrez.
    Fluctus uti prim coepit cum albescere
ponto,
Paulatim sese tollit mare, et altius undas
Erigit, inde imo consurgit ad æthera fundo
.
    Le jugement tient chez moy un siege magistral, au moins il s'en
efforce soigneusement : Il laisse mes appetis aller leur
train : et la haine et l'amitié, voire et celle que je me
porte à moy mesme, sans s'en alterer et corrompre. S'il ne peut
reformer les autres parties selon soy, au moins ne se laisse il pas
difformer à elles : il faict son jeu à part.
    L'advertissement à chacun de se cognoistre, doit estre d'un
important effect, puisque ce Dieu de science et de lumiere le fit
planter au front de son temple : comme comprenant tout ce
qu'il avoit à nous conseiller. Platon dict aussi, que prudence
n'est autre chose, que l'execution de ceste ordonnance : et
Socrates, le verifie par le menu en Xenophon. Les difficultez et
l'obscurité, ne s'apperçoyvent en chacune science, que par ceux qui
y ont entree. Car encore faut il quelque degré d'intelligence, à
pouvoir remarquer qu'on ignore : et faut pousser à une porte,
pour sçavoir qu'elle nous est close. D'où naist ceste Platonique
subtilité, que ny ceux qui sçavent, n'ont à s'enquerir, d'autant
qu'ils sçavent : ny ceux qui ne sçavent, d'autant que pour
s'enquerir, il faut sçavoir, dequoy on s'enquiert. Ainsi, en ceste
cy de se cognoistre soy-mesme : ce que chacun se voit si
resolu et satisfaict, ce que chacun y pense estre suffisamment
entendu, signifie que chacun n'y entend rien du tout, comme
Socrates apprend à Euthydeme. Moy, qui ne fais autre profession, y
trouve une profondeur et varieté si infinie, que mon apprentissage
n'a autre fruict, que de me faire sentir, combien il me reste à
apprendre. A ma foiblesse si souvent recognuë, je dois
l'inclination que j'ay à la modestie : à l'obeïssance des
creances qui me sont prescrites : à une constante froideur et
moderation d'opinions : et la haine de ceste arrogance
importune et quereleuse, se croyant et fiant toute à soy, ennemie
capitale de discipline et de verité. Oyez les regenter. Les
premieres sottises qu'ils méttent en avant, c'est au style qu'on
establit les religions et les loix.
Nihil est turpius quàm
cognitioni et perceptioni, assertionem approbationémque
præcurrere
. Aristarchus disoit, qu'anciennement, à peine se
trouva-il sept sages au monde : et que de son temps à peine se
trouvoit-il sept ignorans : Aurions nous pas plus de raison
que luy, de le dire en nostre temps ? L'affirmation et
l'opiniastreté, sont signes expres de bestise. Cestuy-ci aura donné
du nez à terre, cent fois pour un jour : le voyla sur ses
ergots, aussi resolu et entier que devant. Vous diriez qu'on luy a
infus depuis, quelque nouvelle ame, et vigueur d'entendement. Et
qu'il luy advient, comme à cet ancien fils de la terre, qui
reprenoit nouvelle fermeté, et se renforçoit par sa cheute.
    cui cum tetigere parentem,
Jam defecta vigent renovato robore membra
.
    Ce testu indocile, pense-il pas reprendre un nouvel esprit, pour
reprendre une nouvelle dispute ? C'est par mon experience, que
j'accuse l'humaine ignorance. Qui est, à mon advis, le plus seur
party de l'escole du monde. Ceux qui ne la veulent conclure en eux,
par un si vain exemple que le mien, ou que le leur, qu'ils la
recognoissent par Socrates, le maistre des maistres. Car le
Philosophe Antisthenes, à ses disciples, Allons, disoit-il, vous et
moy ouyr Socrates. Là je seray disciple avec vous. Et soustenant ce
dogme, de sa secte Stoïque, que la vertu suffisoit à rendre une vie
plainement heureuse, et n'ayant besoin de chose quelconque, sinon
de la force de Socrates ; adjoustoit-il.
    Ceste longue attention que j'employe à me considerer, me dresse
à juger aussi passablement des autres : Et est peu de choses,
dequoy je parle plus heureusement et excusablement. Il m'advient
souvent, de voir et distinguer plus exactement les conditions de
mes amis, qu'ils ne font eux mesmes. J'en ay estonné quelqu'un, par
la pertinence de ma description : et l'ay adverty de soy. Pour
m'estre dés mon enfance, dressé à mirer ma vie dans celle d'autruy,
j'ay acquis une complexion studieuse en cela. Et quand j'y

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