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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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m'en offroyent la
moitié du leur : m'ont semblé esgalement faciles à prendre, et
inutiles en operation. Ils ont à payer mille voeux à Æsculape, et
autant d'escus à leur medecin, de la profluvion de sable aisée et
abondante, que je reçoy souvent par le benefice de nature. La
decence mesme de ma contenance en compagnie, n'en est pas
troublée : et porte mon eau dix heures, et aussi long temps
qu'un sain.
    La crainte de ce mal, dit-il, t'effrayoit autresfois, quand il
t'estoit incogneu : Les cris et le desespoir, de ceux qui
l'aigrissent par leur impatience, t'en engendroient l'horreur.
C'est un mal, qui te bat les membres, par lesquels tu as le plus
failly : Tu és homme de conscience :
    Quæ venit indignè pæna, dolenda
venit.
    Regarde ce chastiement ; il est bien doux au prix d'autres,
et d'une faveur paternelle. Regarde sa tardifveté : il
n'incommode et occupe, que la saison de ta vie, qui ainsi comme
ainsin est mes-huy perdue et sterile ; ayant faict place à la
licence et plaisirs de ta jeunesse, comme par composition. La
crainte et pitié, que le peuple a de ce mal, te sert de matiere de
gloire. Qualité, de laquelle si tu as le jugement purgé, et en as
guery ton discours, tes amis pourtant en recognoissent encore
quelque teinture en ta complexion. Il y a plaisir à ouyr dire de
soy : Voyla bien de la force : voila bien de la patience.
On te voit suer d'ahan, pallir, rougir, trembler, vomir jusques au
sang, souffrir des contractions et convulsions estranges, degoutter
par fois de grosses larmes des yeux, rendre les urines espesses,
noires, et effroyables, ou les avoir arrestées par quelque pierre
espineuse et herissée qui te poinct, et escorche cruellement le col
de la verge, entretenant cependant les assistans, d'une contenance
commune ; bouffonant à pauses avec tes gens : tenant ta
partie en un discours tendu : excusant de parolle ta douleur,
et rabbatant de ta souffrance.
    Te souvient-il, de ces gens du temps passé, qui recherchoyent
les maux avec si grand faim, pour tenir leur vertu en haleine, et
en exercice ? mets le cas que nature te porte, et te pousse à
cette glorieuse escole, en laquelle tu ne fusses jamais entré de
ton gré. Si tu me dis, que c'est un mal dangereux et mortel :
Quels autres ne le sont ? Car c'est une pipperie medecinale,
d'en excepter aucuns ; qu'ils disent n'aller point de droict
fil à la mort : Qu'importe, s'ils y vont par accident ;
et s'ils glissent, et gauchissent aisément, vers la voye qui nous y
meine ? Mais tu ne meurs pas de ce que tu es malade : tu
meurs de ce que tu es vivant. La mort te tue bien, sans le secours
de la maladie. Et à d'aucuns, les maladies ont esloigné la
mort : qui ont plus vescu, de ce qu'il leur sembloit s'en
aller mourants. Joint qu'il est, comme des playes, aussi des
maladies medecinales et salutaires. La colique est souvent non
moins vivace que vous. Il se voit des hommes, ausquels elle a
continué depuis leur enfance jusques à leur extreme
vieillesse ; et s'ils ne luy eussent failly de compagnie, elle
estoit pour les assister plus outre. Vous la tuez plus souvent
qu'elle ne vous tue. Et quand elle te presenteroit l'image de la
mort voisine, seroit-ce pas un bon office, à un homme de tel aage,
de le ramener aux cogitations de sa fin ? Et qui pis est, tu
n'as plus pour quoy guerir : Ainsi comme ainsin, au premier
jour la commune necessité t'appelle. Considere combien
artificielement et doucement, elle te desgouste de la vie, et
desprend du monde : non te forçant, d'une subjection
tyrannique, comme tant d'autres maux, que tu vois aux vieillards,
qui les tiennent continuellement entravez, et sans relasche de
foiblesses et douleurs : mais par advertissemens, et
instructions reprises à intervalles ; entremeslant des longues
pauses de repos, comme pour te donner moyen de mediter et repeter
sa leçon à ton aise. Pour te donner moyen de juger sainement, et
prendre party en homme de coeur, elle te presente l'estat de ta
condition entiere, et en bien et en mal ; et en mesme jour,
une vie tres-alegre tantost, tantost insupportable. Si tu n'accoles
la mort, au moins tu luy touches en paume, une fois le mois. Par où
tu as de plus à esperer, qu'elle t'attrappera un jour sans menace.
Et qu'estant si souvent conduit jusques au port : te fiant
d'estre encore aux termes accoustumez, on t'aura et ta fiance,
passé l'eau un matin, inopinément. On n'a point à se plaindre des
maladies, qui partagent loyallement le

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