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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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des
rheumes, defluxions goutteuses ; relaxation ; battement
de coeur ; micraines ; et autres accidens, que j'ay
perdu, quand je m'estois à demy formé à les nourrir. On les conjure
mieux par courtoisie, que par braverie. Il faut souffrir doucement
les loix de nostre condition : Nous sommes pour vieillir, pour
affoiblir, pour estre malades, en despit de toute medecine. C'est
la premiere leçon, que les Mexicains font à leurs enfans ;
quand au partir du ventre des meres, ils les vont saluant,
ainsin : Enfant, tu és venu au monde pour endurer :
endure, souffre, et tais toy.
    C'est injustice de se douloir qu'il soit advenu à quelqu'un, ce
qui peut advenir à chacun.
Indignare si quid in te iniquè
propriè constitutum est
. Voyez un vieillart, qui demande à
Dieu qu'il luy maintienne sa santé entiere et vigoureuse ;
c'est à dire qu'il le remette en jeunesse :
    Stulte quid hæc frustra votis puerilibus
optas ?
    N'est-ce pas folie ? sa condition ne le porte pas. La
goutte, la gravelle, l'indigestion, sont symptomes des longues
années ; comme des longs voyages, la chaleur, les pluyes, et
les vents. Platon ne croit pas, qu'Æsculape se mist en peine, de
prouvoir par regimes, à faire durer la vie, en un corps gasté et
imbecille : inutile à son pays, inutile à sa vacation :
et à produire des enfants sains et robustes : et ne trouve
pas, ce soing convenable à la justice et prudence divine, qui doit
conduire toutes choses à l'utilité. Mon bon homme, c'est
faict : on ne vous sçauroit redresser : on vous plastrera
pour le plus, et estançonnera un peu, et allongera-lon de quelque
heure vostre misere.
    Non secus instantem cupiens fulcire
ruinam,
Diversis contrà nititur obicibus,
Donec certa dies omni compage soluta,
Ipsum cum rebus subruat auxilium
.
    Il faut apprendre à souffrir, ce qu'on ne peut eviter. Nostre
vie est composée, comme l'harmonie du monde, de choses contraires,
aussi de divers tons, doux et aspres, aigus et plats, mols et
graves : Le Musicien qui n'en aymeroit que les uns, que
voudroit il dire ? Il faut qu'il s'en sçache servir en commun,
et les mesler. Et nous aussi, les biens et les maux, qui sont
consubstantiels à nostre vie. Nostre estre ne peut sans ce
meslange ; et y est l'une bande non moins necessaire que
l'autre. D'essayer à regimber contre la necessité naturelle, c'est
representer la folie de Ctesiphon, qui entreprenoit de faire à
coups de pied avec sa mule.
    Je consulte peu, des alterations, que je sens ; Car ces
gens icy sont avantageux, quand ils vous tiennent à leur
misericorde. Ils vous gourmandent les oreilles, de leurs
prognostiques ; et me surprenant autrefois affoibly du mal,
m'ont injurieusement traicté de leurs dogmes, et troigne
magistrale : me menassent tantost de grandes douleurs, tantost
de mort prochaine : Je n'en estois abbatu, ny deslogé de ma
place, mais j'en estois heurté et poussé : Si mon jugement
n'en est ny changé, ny troublé : au moins il en estoit
empesché. C'est tousjours agitation et combat.
    Or je traicte mon imagination le plus doucement que je
puis ; et la deschargerois si je pouvois, de toute peine et
contestation. Il la faut secourir, et flatter, et pipper qui peut.
Mon esprit est propre à cet office. Il n'a point faute d'apparences
par tout. S'il persuadoit, comme il presche, il me secourroit
heureusement.
    Vous en plaist-il un exemple ? Il dict, que c'est pour mon
mieux, que j'ay la gravele. Que les bastimens de mon aage, ont
naturellement à souffrir quelque gouttiere. Il est temps qu'ils
commencent à se lascher et desmentir : C'est une commune
necessité : Et n'eust on pas faict pour moy, un nouveau
miracle. Je paye par là, le loyer deu à la vieillesse ; et ne
sçaurois en avoir meilleur comte. Que la compagnie me doit
consoler ; estant tombé en l'accident le plus ordinaire des
hommes de mon temps. J'en vois par tout d'affligez de mesme nature
de mal. Et m'en est la societé honorable, d'autant qu'il se prend
plus volontiers aux grands : son essence a de la noblesse et
de la dignité. Que des hommes qui en sont frappez, il en est peu de
quittes à meilleure raison : et si, il leur couste la peine
d'un facheux regime, et la prise ennuieuse, et quotidienne, des
drogues medecinales : Là où, je le doy purement à ma bonne
fortune. Car quelques bouillons communs de l'eringium, et herbe du
Turc, que deux ou trois fois j'ay avalé, en faveur des dames, qui
plus gracieusement que mon mal n'est aigre,

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