Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
Vom Netzwerk:
degoustemens, et
les jeusnes estranges, que je passe, digerent mes humeurs
peccantes : et nature vuide en ces pierres, ce qu'elle a de
superflu et nuysible. Qu'on ne me die point, que c'est une medecine
trop cher vendue. Car quoy tant de puans breuvages, cauteres,
incisions, suées, sedons, dietes, et tant de formes de guarir, qui
nous apportent souvent la mort, pour ne pouvoir soustenir leur
violence, et importunité ? Par ainsi, quand je suis attaint,
je le prens à medecine : quand je suis exempt, je le prens à
constante et entiere delivrance.
    Voicy encore une faveur de mon mal, particuliere. C'est qu'à peu
pres, il faict son jeu à part, et me laisse faire le mien ; où
il ne tient qu'à faute de courage : En sa plus grande
esmotion, je l'ay tenu dix heures à cheval : Souffrez
seulement, vous n'avez que faire d'autre regime : Jouez,
disnez, courez, faictes cecy, et faictes encore cela, si vous
pouvez ; vostre desbauche y servira plus, qu'elle n'y nuira.
Dictes en autant à un verolé, à un goutteux, à un hernieux. Les
autres maladies, ont des obligations plus universelles ;
gehennent bien autrement noz actions ; troublent tout nostre
ordre, et engagent à leur consideration, tout l'estat de la vie.
Cette-cy ne faict que pinser la peau ; elle vous laisse
l'entendement, et la volonté en vostre disposition, et la langue,
et les pieds, et les mains. Elle vous esveille pustost qu'elle ne
vous assoupit. L'ame est frapée de l'ardeur d'une fiebvre, et
atterrée d'une epilepsie, et disloquée par une aspre micraine, et
en fin estonnée par toutes les maladies qui blessent la masse, et
les plus nobles parties : Icy, on ne l'attaque point. S'il luy
va mal, à sa coulpe : Elle se trahit elle mesme, s'abandonne,
et se desmonte. Il n'y a que les fols qui se laissent persuader,
que ce corps dur et massif, qui se cuyt en noz rognons, se puisse
dissoudre par breuvages. Parquoy depuis qu'il est esbranlé, il
n'est que de luy donner passage, aussi bien le prendra-il.
    Je remarque encore cette particuliere commodité ; que c'est
un mal, auquel nous avons peu à deviner. Nous sommes dispensez du
trouble, auquel les autres maux nous jettent, par l'incertitude de
leurs causes, et conditions, et progrez. Trouble infiniement
penible. Nous n'avons que faire de consultations et interpretations
doctorales : les sens nous montrent que c'est, et où
c'est.
    Par tels argumens, et forts et foibles, comme Cicero le mal de
sa vieillesse, j'essaye d'endormir et amuser mon imagination, et
graisser ses playes. Si elles s'empirent demain, demain nous y
pourvoyrons d'autres eschappatoires.
    Qu'il soit vray. Voicy depuis de nouveau, que les plus legers
mouvements espreignent le pur sang de mes reins. Quoy pour
cela ? je ne laisse de me mouvoir comme devant, et picquer
apres mes chiens, d'une juvenile ardeur, et insolente. Et trouve
que j'ay grand raison, d'un si important accident : qui ne me
couste qu'une sourde poisanteur, et alteration en cette partie.
C'est quelque grosse pierre, qui foulle et consomme la substance de
mes roignons : et ma vie, que je vuide peu à peu : non
sans quelque naturelle douceur, comme un excrement hormais superflu
et empeschant. Or sens-je quelque chose qui crousle ; ne vous
attendez pas que j'aille m'amusant à recognoistre mon poux, et mes
urines, pour y prendre quelque prevoyance ennuyeuse. Je seray assez
à temps à sentir le mal, sans l'allonger par le mal de la peur. Qui
craint de souffrir, il souffre desja de ce qu'il craint. Joint que
la dubitation et ignorance de ceux, qui se meslent d'expliquer les
ressorts de nature, et ses internes progrez : et tant de faux
prognostiques de leur art, nous doit faire cognoistre, qu'ell'a ses
moyens infiniment incognuz. Il y a grande incertitude, varieté et
obscurité, de ce qu'elle nous promet ou menace. Sauf la vieillesse,
qui est un signe indubitable de l'approche de la mort : de
tous les autres accidents, je voy peu de signes de l'advenir,
surquoy nous ayons à fonder nostre divination.
    Je ne me juge que par vray sentiment, non par discours : A
quoy faire ? puisque je n'y veux apporter que l'attente et la
patience. Voulez vous sçavoir combien je gaigne à celà ?
Regardez ceux qui font autrement, et qui dependent de tant de
diverses persuasions et conseils : combien souvent
l'imagination les presse sans le corps. J'ay maintesfois prins
plaisir estant en seurté, et delivre de ces accidens dangereux, de
les communiquer aux medecins, comme

Weitere Kostenlose Bücher