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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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et se divertir de la pitié au desdain. De
bien meilleure grace encore que nous, qui à la perte du premier
cognu, nous piquons à luy presser des louanges nouvelles et
fauces : et à le faire tout autre, quand nous l'avons perdu de
veuë, qu'il ne nous sembloit estre, quand nous le voyions :
Comme si le regret estoit une partie instructive : ou que les
larmes en lavant nostre entendement, l'esclaircissent. Je renonce
dés à present aux favorables tesmoignages, qu'on me voudra donner,
non par ce que j'en seray digne, mais par ce que je seray mort.
    Qui demandera à celuy là, Quel interest avez vous à ce
siege ? L'interest de l'exemple, dira-il, et de l'obeyssance
commune du Prince : je n'y pretens proffit quelconque :
et de gloire, je sçay la petite part qui en peut toucher un
particulier comme moy : je n'ay icy ny passion ny querelle.
Voyez le pourtant le lendemain, tout changé, tout bouillant et
rougissant de cholere, en son rang de bataille pour l'assaut :
C est la lueur de tant d'acier, et le feu et tintamarre de nos
canons et de nos tambours, qui luy ont jetté cette nouvelle rigueur
et hayne dans les veines. Frivole cause, me direz vous :
Comment cause ? il n'en faut point, pour agiter nostre
ame : Une resverie sans corps et sans subject la regente et
l'agite. Que je me mette à faire des chasteaux en Espaigne, mon
imagination m'y forge des commoditez et des plaisirs, desquels mon
ame est reellement chatouillee et resjouye : Combien de fois
embrouillons nous nostre esprit de cholere ou de tristesse, par
telles ombres, et nous inserons en des passions fantastiques, qui
nous alterent et l'ame et le corps ? Quelles grimaces,
estonnees, riardes, confuses, excite la resverie en noz
visages ! Quelles saillies et agitations de membres et de
voix ! Semble-il pas de cet homme seul, qu'il aye des visions
fauces, d'une presse d'autres hommes, avec qui il negocie : ou
quelque demon interne, qui le persecute ? Enquerez vous à
vous, où est l'object de ceste mutation ? Est-il rien sauf
nous, en nature, que l'inanité substante, sur quoy elle
puisse ?
    Cambyses pour avoir songé en dormant, que son frere devoit
devenir Roy de Perse, le fit mourir. Un frere qu'il aymoit, et
duquel il s'estoit tousjours fié. Aristodemus Roy des Messeniens se
tua, pour une fantasie qu'il print de mauvais augure, de je ne sçay
quel hurlement de ses chiens. Et le Roy Midas en fit autant,
troublé et fasché de quelque mal plaisant songe qu'il avoit
songé : C'est priser sa vie justement ce qu'elle est, de
l'abandonner pour un songe.
    Oyez pourtant nostre ame, triompher de la misere du corps, de sa
foiblesse, de ce qu'il est en butte à toutes offences et
alterations : vrayement elle a raison d'en parler.
    O prima infoelix fingenti terra
Prometheo !
Ille parum cauti pectoris egit opus.
Corpora disponens, mentem non vidit in arte,
Recta animi primùm debuit esse via
.

Chapitre 5 Sur des vers de Virgile
    A MESURE que les pensemens utiles sont plus pleins, et solides,
ils sont aussi plus empeschans, et plus onereux. Le vice, la mort,
la pauvreté, les maladies, sont subjets graves, et qui grevent. Il
faut avoir l'ame instruitte des moyens de soustenir et combatre les
maux, et instruite des regles de bien vivre, et de bien
croire : et souvent l'esveiller et exercer en cette belle
estude. Mais à une ame de commune sorte, il faut que ce soit avec
relasche et moderation : elle s'affolle, d'estre trop
continuellement bandee.
    J'avoy besoing en jeunesse, de m'advertir et solliciter pour me
tenir en office : L'alegresse et la santé ne conviennent pas
tant bien, dit-on, avec ces discours serieux et sages : Je
suis à present en un autre estat. Les conditions de la vieillesse,
ne m'advertissent que trop, m'assagissent et me preschent. De
l'excez de la gayeté, je suis tombé en celuy de la severité :
plus fascheux. Parquoy, je me laisse à cette heure aller un peu à
la desbauche, par dessein : et employe quelque fois l'ame, à
des pensemens folastres et jeunes, où elle se sejourne : Je ne
suis meshuy que trop rassis, trop poisant, et trop meur. Les ans me
font leçon tous les jours, de froideur, et de temperance. Ce corps
fuyt le desreiglement, et le craint : il est à son tour de
guider l'esprit vers la reformation : il regente à son
tour : et plus rudement et imperieusement : Il ne me
laisse pas une heure, ny dormant ny veillant, chaumer
d'instruction, de mort, de patience, et de poenitence. Je me
deffens de la

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