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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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sotte production que l'homme :
d'appeller l'action honteuse, et honteuses les parties qui y
servent (à cette heure sont les miennes proprement honteuses) les
Esseniens, dequoy parle Pline, se maintenoient sans nourrice, sans
maillot, plusieurs siecles : de l'abbord des estrangers, qui,
suivants cette belle humeur, se rengeoient continuellement à
eux : Ayant toute une nation, hazardé de s'exterminer
plustost, que s'engager à un embrassement feminin, et de perdre la
suitte des hommes plustost, que d'en forger un. Ils disent que
Zenon n'eut affaire à femme, qu'une fois en sa vie : Et que ce
fut par civilité, pour ne sembler dedaigner trop obstinement le
sexe. Chacun fuit à le voir naistre, chacun court à le voir mourir.
Pour le destruire, on cerche un champ spacieux en pleine
lumiere : pour le construire, on se musse dans un creux
tenebreux, et le plus contraint qu'il se peut. C'est le devoir, de
se cacher pour le faire, et c'est gloire, et naissent plusieurs
vertus, de le sçavoir deffaire. L'un est injure, l'autre est
faveur : car Aristote dit, que bonifier quelqu'un, c'est le
tuer, en certaine phrase de son païs.
    Les Atheniens, pour apparier la deffaveur de ces deux actions,
ayants à mundifier l'isle de Delos, et se justifier envers Apollo,
defendirent au pourpris d'icelle, tout enterrement, et tout
enfantement ensemble.
Nostri nosmet poenitet
.
    Il y a des nations qui se couvrent en mangeant. Je sçay une
dame, et des plus grandes, qui a cette mesme opinion, que c'est une
contenance desagreable, de mascher : qui rabat beaucoup de
leur grace, et de leur beauté : et ne se presente pas
volontiers en public avec appetit. Et sçay un homme, qui ne peut
souffrir de voir manger, ny qu'on le voye : et fuyt toute
assistance, plus quand il s'emplit, que s'il se vuide.
    En l'Empire du Turc, il se void grand nombre d'hommes, qui, pour
exceller les autres, ne se laissent jamais veoir, quand ils font
leur repas ; qui n'en font qu'un la sepmaine : qui se
deschiquettent et decoupent la face et les membres : qui ne
parlent jamais à personne. Gens fanatiques, qui pensent honnorer
leur nature en se desnaturant : qui se prisent de leur
mespris, et s'amendent de leur empirement.
    Quel monstrueux animal, qui se fait horreur à soy-mesme à qui
ses plaisirs poisent : qui se tient à mal-heur ?
    Il y en a qui cachent leur vie,
    Exilióque domos et dulcia limina
mutant
,
    et la desrobent de la veuë des autres hommes : Qui evitent
la santé et l'allegresse, comme qualitez ennemies et dommageables.
Non seulement plusieurs sectes, mais plusieurs peuples maudissent
leur naissance, et benissent leur mort. Il en est où le soleil est
abominé, les tenebres adorees.
    Nous ne sommes ingenieux qu'à nous mal mener : c'est le
vray gibbier de la force de nostre esprit : dangereux util en
desreglement.
    O miseri quorum gaudia crimen
habent !
    Hé pauvre homme, tu as assez d'incommoditez necessaires, sans
les augmenter par ton invention : et és assez miserable de
condition, sans l'estre par art : tu as des laideurs reelles
et essentielles à suffisance, sans en forger d'imaginaires. Trouves
tu que tu sois trop à l'aise si la moitié de ton aise ne te
fasche ? Trouves tu que tu ayes remply tous les offices
necessaires, à quoy nature t'engage, et qu'elle soit oysive chez
toy, si tu ne t'obliges à nouveaux offices ? Tu ne crains
point d'offencer ses loix universelles et indubitables, et te
piques aux tiennes partisanes et fantastiques : Et d'autant
plus qu'elles sont particulieres, incertaines, et plus
contredictes, d'autant plus tu fais là ton effort. Les ordonnances
positives de ta paroisse t'attachent : celles du monde ne te
touchent point. Cours un peu par les exemples de cette
consideration : ta vie en est toute.
    Les vers de ces deux Poëtes, traictans ainsi reservément et
discrettement de la lasciveté, comme ils font, me semblent la
descouvrir et esclairer de plus pres. Les dames couvrent leur sein
d'un reseul, les prestres plusieurs choses sacrees, les peintres
ombragent leur ouvrage, pour luy donner plus de lustre. Et dict-on
que le coup du Soleil et du vent, est plus poisant par reflexion
qu'à droit fil. L'Ægyptien respondit sagement à celuy qui luy
demandoit, Que portes-tu là, caché soubs ton manteau ? Il est
caché soubs mon manteau, affin que tu ne sçaches pas que
c'est : Mais il y a certaines autres choses qu'on cache pour
les montrer. Oyez cetuy-là plus ouvert,
    Et nudam pressi corpus

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