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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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occupati
. Ce n'est pas une eloquence molle, et
seulement sans offence : elle est nerveuse et solide, qui ne
plaist pas tant, comme elle remplit et ravit : et ravit le
plus, les plus forts esprits. Quand je voy ces braves formes de
s'expliquer, si vifves, si profondes, je ne dis pas que c'est bien
dire, je dis que c'est bien penser. C'est la gaillardise de
l'imagination, qui esleve et enfle les parolles.
Pectus est
quod disertum facit
. Nos gens appellent jugement, langage, et
beaux mots, les pleines conceptions.
    Cette peinture est conduitte, non tant par dexterité de la main,
comme pour avoir l'object plus vifvement empreint en l'ame. Gallus
parle simplement, par ce qu'il conçoit simplement : Horace ne
se contente point d'une superficielle expression, elle le
trahiroit : il voit plus clair et plus outre dans les
choses : son esprit crochette et furette tout le magasin des
mots et des figures, pour se representer : et les luy faut
outre l'ordinaire, comme sa conception est outre l'ordinaire.
Plutarque dit, qu'il veid le langage Latin par les choses. Icy de
mesme : le sens esclaire et produit les parolles : non
plus de vent, ains de chair et d'os. Elles signifient, plus
qu'elles ne disent. Les imbecilles sentent encores quelque image de
cecy. Car en Italie je disois ce qu'il me plaisoit en devis
communs : mais aux propos roides, je n'eusse osé me fier à un
Idiome, que je ne pouvois plier ny contourner, outre son alleure
commune. J'y veux pouvoir quelque chose du mien.
    Le maniement et employte des beaux esprits, donne prix à la
langue : Non pas l'innovant, tant comme la remplissant de plus
vigoreux et divers services, l'estirant et ployant. Ils n'y
apportent point de mots : mais ils enrichissent les leurs,
appesantissent et enfoncent leur signification et leur usage :
luy apprenent des mouvements inaccoustumés : mais prudemment
et ingenieusement. Et combien peu cela soit donné à tous, il se
voit par tant d'escrivains François de ce siecle. Ils sont assez
hardis et dédaigneux, pour ne suyvre la route commune : mais
faute d'invention et de discretion les pert. Il ne s'y voit qu'une
miserable affectation d'estrangeté : des desguisements froids
et absurdes, qui au lieu d'eslever, abbattent la matiere. Pourveu
qu'ils se gorgiasent en la nouvelleté, il ne leur chaut de
l'efficace : Pour saisir un nouveau mot, ils quittent
l'ordinaire, souvent plus fort et plus nerveux.
    En nostre langage je trouve assez d'estoffe, mais un peu faute
de façon. Car il n'est rien, qu'on ne fist du jargon de nos
chasses, et de nostre guerre, qui est un genereux terrein à
emprunter. Et les formes de parler, comme les herbes, s'amendent et
fortifient en les transplantant. Je le trouve suffisamment
abondant, mais non pas maniant et vigoureux suffisamment : Il
succombe ordinairement à une puissante conception. Si vous allez
tendu, vous sentez souvent qu'il languit soubs vous, et
fleschit : et qu'à son deffaut le Latin se presentea au
secours, et le Grec à d'autres. D'aucuns de ces mots que je viens
de trier, nous en apperçevons plus mal-aysement l'energie, d'autant
que l'usage et la frequence, nous en ont aucunement avily et rendu
vulgaire la grace. Comme en nostre commun, il s'y rencontre des
frases excellentes, et des metaphores, desquelles la beauté
flestrit de vieillesse, et la couleur s'est ternie par maniement
trop ordinaire. Mais cela n'oste rien du goust, à ceux qui ont bon
nez : ny ne desroge à la gloire de ces anciens autheurs, qui,
comme il est vray-semblable, mirent premierement ces mots en ce
lustre.
    Les sciences traictent les choses trop finement, d'une mode
artificielle, et differente à la commune et naturelle. Mon page
fait l'amour, et l'entend : lisez luy Leon Hebreu, et
Ficin : on parle de luy, de ses pensees, et de ses actions, et
si n'y entend rien. Je ne recognois chez Aristote, la plus part de
mes mouvemens ordinaires. On les a couverts et revestus d'une autre
robbe, pour l'usage de l'eschole. Dieu leur doint bien faire :
si j'estois du mestier, je naturaliserois l'art, autant comme ils
artialisent la nature. Laissons là Bembo et Equicola.
    Quand j'escris, je me passe bien de la compagnie, et souvenance
des livres : de peur qu'ils n'interrompent ma forme. Aussi
qu'à la verité, les bons autheurs m'abbattent par trop, et rompent
le courage. Je fais volontiers le tour de ce peintre, lequel ayant
miserablement representé des coqs, deffendoit à ses garçons, qu'ils
ne laissassent

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