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Les fiancés de Venise

Les fiancés de Venise

Titel: Les fiancés de Venise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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qu’il cherchait du regard les deux colonnes en marbre, il fut pris d’un frisson et décida de s’offrir une gondole plutôt que de rentrer à pied.
    À vrai dire, il n’avait pas les moyens de se permettre les deux lires que coûterait le trajet jusqu’au palais Balbi-Valier. Pour être tout à fait honnête, il n’avait pas les moyens de se payer grand-chose. Néanmoins, il pouvait à bon droit se considérer comme le promis d’une des femmes les plus riches de la Sérénissime et, vu sous cet angle, ses difficultés actuelles se réduisaient à un manque de liquidités passager. Pour autant, il n’avait pas l’intention de jeter l’argent par les fenêtres.
    C’est pourquoi il nota, en montant dans l’embarcation, que le gondolier lui était inconnu. Si celui-ci n’avait pas de licence ou qu’il ne l’avait pas sur lui, il ne pouvait exiger d’être payé – en tout cas pas lorsque son client était, par hasard, le commissaire de Saint-Marc. Tron était bien résolu à lui demander ses papiers, une fois arrivé chez la princesse de Montalcino, et peut-être même à lui reprocher un manque d’entretien. Il se cala dans les coussins sous la couverture et poussa un soupir d’aise.
    1 - Voir L’impératrice lève le masque , 10/18, n° 4134. ( N.d.T .)

    2 - Place. La Piazza : place Saint-Marc. ( N.d.T. )

10
    Assis sur le canapé en tissu vert, Tron observait la princesse qui traçait un épais cercle à l’encre rouge au bas d’une colonne de chiffres. Allongée sur la méridienne à deux mètres de lui, les jambes repliées pour soutenir ses dossiers, elle se livrait à ses occupations préférées du soir : vérifier des comptes, fumer des cigarettes et vider une tasse après l’autre. Ils étaient séparés par une table basse sur laquelle se trouvait, en dehors du service à café et d’une coupelle de biscuits vénitiens – des baicoli –, un tas de documents tels que lettres commerciales, esquisses de prospectus, factures et bilans financiers. Le commissaire avait posé tout près de lui les manuscrits pour la prochaine édition de l’ Emporio della Poesia  ; de temps à autre, il y inscrivait au crayon de délicates observations.
    Comme d’habitude, il avait du mal à se concentrer : l’image de la princesse dans son étroite robe d’intérieur en cachemire noir le séduisait d’autant plus que la cigarette glissée avec négligence à la commissure de ses lèvres y ajoutait une note bohème. Il savait que, lors de leur séjour à Paris, les Montalcino n’avaient pas fréquenté seulement les Tuileries, mais aussi les salons du demi-monde. Chaque fois qu’elle aspirait une bouffée de fumée, il l’imaginait dans un atelier du Marais ou à une soirée au Quartier latin. Et les regards lascifs qu’elle adressait dans son esprit aux peintres et aux critiques d’art lui brisaient le cœur.
    Depuis le mois de mai, il se rendait chez elle presque chaque jour. En semaine, ils allaient fréquemment à La Fenice ou à des concerts et des représentations au Malibran. Dans les premiers temps, il avait souffert des coups d’œil admiratifs qu’elle récoltait de toutes parts. Puis il avait commencé à s’en régaler jusqu’au moment où il ne les avait plus remarqués. Une partie de l’éclat qu’elle jetait retombait sur lui, même en son absence. Lorsqu’un groupe d’officiers d’état-major l’avait salué avec respect sur la place Saint-Marc, il avait supposé qu’ils l’avaient aperçu la veille au théâtre en compagnie de la princesse.
    Pendant l’été, ils avaient fait, les jours de repos, de longues promenades sur le Lido – sous les regards méfiants des sous-lieutenants de l’artillerie autrichienne qui dressaient leurs batteries sur la plage. Ils avaient constaté que, même lorsqu’il faisait très chaud, l’air y était toujours pur et frais. Un jour, il prit à la princesse la fantaisie d’enlever ses chaussures et ses bas et, la crinoline retroussée, d’entrer dans l’eau jusqu’aux genoux. Une telle audace avait un parfum de scandale ; Tron avait aussitôt imaginé les commentaires de sa mère. Mais lorsqu’il s’était résolu, après bien des hésitations, à retirer ses souliers à son tour et à relever les bords de son pantalon, il avait dû reconnaître que c’était un délice de sentir le sable sous ses pieds et le mouvement rafraîchissant des vagues contre ses jambes.
    Vu sous cet angle, Tron jouait le rôle traditionnel

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