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Les fiancés de Venise

Les fiancés de Venise

Titel: Les fiancés de Venise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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prétendais que vous étiez meilleur marché qu’Alinari. Voilà pourquoi nous sommes passés chez vous. Finalement, nous étions très contents des autres. Au moins, avec eux, on savait où on en était.
    — Que veux-tu dire par là ?
    — Que j’admire ton sens des affaires.
    — Je ne peux pas modifier la facture après coup, Tron. Peut-être que, la prochaine fois, tu réfléchiras à la quatrième de couverture.
    — C’est tout réfléchi. Tu connais ma réponse. Personne ne comprendrait que nous publiions des annonces pour des articles de mercerie.
    — Il n’a jamais été question de fanfreluches !
    — C’est une question de principe, déclara-t-il. Nous perdrions en renom. L’ Emporio della Poesia n’a rien à voir avec le commerce.
    — Je ne crois pas, objecta-t-elle, qu’une revue perde en renom parce qu’elle fait l’éloge de notre verrerie sur la quatrième de couverture.
    — S’il ne tenait qu’à toi, nous aurions une gravure de lustre toutes les dix pages ! Avec la liste des prix et l’adresse des distributeurs. Au fait, Semezzano s’est-il abonné ?
    Elle haussa les épaules.
    — Je ne dicte pas à mes directeurs le nom des journaux auxquels ils doivent s’abonner ! Il n’avait pas l’air enthousiaste. Et pour être honnête, je doute qu’il ait lu ton article sur « le retour triomphal du trochée ».
    — Toi non plus, tu ne l’as pas lu ! s’exclama-t-il.
    La plume à encre rouge reste suspendue en air.
    — Pardonne-moi, s’offusqua-t-elle. Tu vois toi-même à quoi je passe mes soirées.
    Les commissures de ses lèvres s’abaissèrent d’un mouvement rageur.
    — Lui as-tu précisé qu’il obtiendrait un rabais de dix pour cent s’il prenait un abonnement pour trois ans ?
    — Cela n’aurait rien changé.
    Puis elle ajouta sans pitié :
    — Personne ne s’intéresse à la poésie néolatine. Il n’y a pas de marché.
    — Ah, je comprends ! Pas de marché… répliqua Tron, incapable de contenir une nuance de mépris qui fit aussitôt réagir la princesse.
    — Ce n’est pas la peine de prendre tes grands airs ! s’emporta-t-elle. S’il n’y avait pas de débouchés pour mes verres, le salon serait glacial et il pleuvrait à travers le toit.
    — Comme chez certains, veux-tu dire ?
    — Mon Dieu, ne prends pas toujours tout pour toi !
    Ces paroles brusques mirent un terme provisoire à la conversation. La princesse se redressa et se remit à barrer d’un trait de plume rageur les chiffres erronés. Elle avait bien entendu raison, convint Tron après s’être lui aussi replongé dans son manuscrit. Il avait eu tort de se sentir visé. Dans son impeccable italien de Florence, elle avait simplement expliqué la stagnation ou plutôt la chute (qu’il lui avait pourtant tue) des ventes de la revue depuis deux ans. Il soupira. Le marché supposait bel et bien qu’on définisse ce que la princesse appelait une stratégie .
    Peut-être une guerre ouverte avec la commission de censure était-elle un moyen approprié pour sortir la  tête  de  l’eau.  Peut-être  pourrait-il  enfin  cesser de faire commander quinze exemplaires par la bibliothèque juridique de la questure. Cet abus était jusqu’alors passé inaperçu car personne ne consultait jamais d’ouvrages, mais quelqu’un finirait bien par tomber sur les piles d’ Emporio et poser des questions gênantes.
    Des questions aussi gênantes que celles que ne manquerait pas de lui poser son supérieur dans les prochains jours. Des questions du genre : Qui était le mystérieux fiancé de la victime ? Qu’est-ce que Gutiérrez avait à voir avec cette affaire ? Le rôle trouble que jouait l’ambassadeur dans cette histoire allait très probablement éveiller l’intérêt de Spaur, le commandant en chef de la police vénitienne.
    Tron leva les yeux de son manuscrit et jeta un regard furtif de l’autre côté de la table. La princesse avait allumé une nouvelle cigarette et continuait ses gribouillages d’une plume aussi alerte qu’une épée. Il toussota.
    — Maria ?
    Elle posa les dossiers sur ses genoux et lui adressa un sourire pour manifester qu’elle n’avait pas envie de poursuivre leur dispute.
    — Oui ?
    — Connais-tu un certain Gutiérrez de Estrada, l’ambassadeur auprès du Saint-Siège du gouvernement mexicain en exil ? Il occupe une suite au Danieli . J’ai songé que tu l’avais peut-être rencontré au château de

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