Les Filles De Caleb
visiteurs durant son absence. Ils lui répondirent que non. Elle les félicita de ce qu’ils avaient réussi à faire. Sans qu’elle le leur dise, ils étaient allés chercher des boîtes chez l’épicier. Emilie leur demanda d’accélérer un tout petit peu. Ils devaient tout avoir terminé pour onze heures. Les enfants s’agitèrent. Emilie les remercia secrètement de ne pas avoir posé de questions ni sur le déménagement, ni sur l’absence de leur père.
Tout se déroula comme elle l’avait prévu. Le voisin et son aide arrivèrent à onze heures; à midi, Emilie quittait un logement presque vide pour-aller conduire ses enfants au restaurant le plus près de la gare. Elle s’attabla avec eux, fit manger son bébé, puis les quitta en leur demandant de se rendre à la gare et de l’attendre. Elle y serait au plus tard à trois heures. Elle confia Rolande à Marie-Ange, Jeanne à Rose, Alice à Blanche, Clément et Paul à Emilien.
Elle paya le restaurateur et prit, luxe suprême, un taxi. Elle se fit conduire chez elle.
Elle aida les camionneurs à ramasser les dernières traîneries, celles qui n’entraient jamais dans les boîtes, et les remercia. Elle leur souhaita bonne route après leur avoir remis un plan de Saint-Tite leur indiquant où ils devaient attendre. Les camionneurs partirent à une heure quarante.
Elle entra dans la cuisine, sortit un mouchoir de son sac et s’épongea la figure. Elle regarda l’heure et recommença à trembler. Elle s’assit sur le bord du comptoir et attendit. Cinq minutes avant deux heures, elle sortit deux billets de cent dollars puis, se ravisant, elle n’en prit qu’un et glissa le second dans son soulier. Elle n’avait plus le choix. Elle n’avait plus rien à perdre.
À deux heures précises, elle les entendit monter l’escalier. Elle sauta sur ses pieds, ajusta ses cheveux et son chapeau et se dirigea vers la porte d’entrée. Elle y arriva en même temps qu’eux et ne leur laissa pas le temps de frapper. Elle ouvrit et descendit sur la première marche, refermant la porte derrière elle.
«Je vous attendais, messieurs.» Elle était soulagée de voir que seuls Bob et Ben s’étaient déplacés.
Elle ouvrit la main et leur tendit le billet de cent dollars.
«Une minute, la p’tite. On a dit deux cents.
— J’y ai repensé et je me suis dit que cent, c’était assez.
— Tu veux rire de nous autres, toi?
— Ton grand est-tu là?
— Mon mari dort. Je vous serais reconnaissante de le laisser dormir. Ecoutez, messieurs, si vous n’êtes pas satisfaits, prenez tout ce que vous voudrez dans la maison. Nous autres on peut pas donner un sou de plus. »
Elle ouvrit la porte, invitant Bob et Ben à entrer. Les deux hommes le firent, la bousculant au passage. Emilie ferma les yeux.
«Calice!
— Tabamak! On s’est fait avoir, Ben.»
Ils revinrent sur leurs pas, regardèrent Emilie qui n’avait pas bougé d’un pouce.
«Le grand est mieux de jamais se épointer à Shawi’.
— Le grand est rendu pas mal loin déjà, messieurs.»
Les deux hommes se regardèrent, ne sachant plus que faire. Ben prit finalement la parole.
«Viens-t-en, Bob. Cent piastres, c’est mieux qu’un coup de pied au cul.»
Ils partirent. Émilie attendit cinq minutes, fit le tour de son logement trois fois, essayant surtout de ne pas penser aux bons moments qu’elle y avait vécus, poussa le verrou de la porte du devant et sortit par la porte arrière, plaçant, comme elle l’avait promis, la clé sous une vieille catalogne délavée et remplie de sable.
36.
Le train filait lentement dans la nuit. Émilie était épuisée. Ils avaient dû attendre pendant des heures et des heures avant de pouvoir monter. Ce n’est qu’à son retour qu’elle avait annoncé aux enfants, sur le ton qu’elle utilisait pour les grandes surprises, qu’ils partaient pour Saint-Tite. Pour y vivre. Quand la locomotive avait traîné sa carcasse de fer devant la gare, elle avait secoué les plus jeunes qui s’étaient assoupis. Les aînés veillaient avec elle. Il y avait si peu de passagers qu’elle put prendre dix banquettes. Elle les installa, un par un, et promit qu’elle les réveillerait avant qu’ils ne soient à Saint-Tite, à l’aube. Elle regretta de ne pas avoir apporté les couvertures de la Belgo avec elle. Elle les couvrit de leurs manteaux.
Elle avait installé Rolande sur
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