Les Filles De Caleb
frappèrent à la porte. Son premier réflexe fut d’ouvrir, pensant qu’il s’agissait d’un messager de la Belgo. Puis, se rappelant qu’elle n’avait plus vu de messager depuis des jours et des jours, elle s’était méfiée.
«Qui c’est?
— Des chums d’Ovila.
— Il est pas ici, Ovila.
— On veut voir ça avec nos yeux...
— Vous reviendrez demain.
— Non, ma p’tite madame. On veut voir ça tout de suite!»
Un des hommes commença à marteler la porte et Émilie, affolée, s’empressa d’ouvrir de crainte que le bruit n’éveille les enfants et les voisins. Quatre hommes se précipitèrent dans le logement, en firent rapidement le tour, regardant même dans la salle de toilette. L’un deux, celui qui avait parlé derrière la porte et qu’Émilie reconnut à sa voix, s’approcha d’elle et lui prit le menton entre ses gros doigts sales.
«Écoute-moi bien, la p’tite madame Ovila. Tu vas faire un message de la part de Ben, de Bob pis de leur gang. Tu vas dire au grand que l’argent qu’il nous doit, c’est pas dans trois mois qu’on le veut, c’est avant la fin de la semaine. As-tu compris?»
Émilie le regarda bien en face, espérant qu’il ne sentait pas ses tremblements, leva une main et exigea, à la force du poignet, qu’il retire la sienne.
«Combien est-ce qu’il vous doit, mon mari?
— Trois cents piastres!»
Émilie se demanda s’ils perçurent que ses yeux s’étaient ouverts, que son pouls s’était accéléré, que ses jambes avaient ramolli et que sa gorge s’était déshydratée.
«Venez demain soir. J’vas avoir deux cents piastres pour vous autres.
— C’est trois cents!
— Vous allez vous contenter de deux cents!»
Bob regarda Ben qui fit un signe d’assentiment.
«On va être ici demain à midi.
— Deux heures!
— Midi!
— Si vous venez à midi, j’vas être en train de faire manger les enfants. J’aurai pas le temps de m’occuper de vous autres.
— Fais-nous pas de farce. On va être ici à deux heures. »
Les quatre hommes -repartirent aussi bruyamment qu’ils étaient venus. Émilie fit trois fois le tour de sa chambre, enragée et humiliée. Comment pourrait-elle, une journée de plus, être la femme d’Ovila à Shawinigan?
Comment Ovila pourrait-il y rester? Elle courut à son placard, en sortit une valise et y jeta en vrac tous les vêtements d’Ovila. Elle fît le tour du logement, ramassant tout ce qu’elle y voyait qui lui appartenait. Elle regarda l’heure. Il était une heure et Ovila n’était toujours pas arrivé. Elle plaça tous ses effets devant la porte d’entrée et retourna dans sa chambre. Elle sortit une seconde valise qu’elle emplit de ses effets à elle. Elle n’avait plus de choix.
Ovila entra au moment où elle emballait toutes ses couvertures de la Belgo. Emilie ne le regarda qu’une fraction de seconde pour comprendre que sa toute nouvelle sobriété l’avait quitté.
«Qu’est-ce que tu fais là, Émilie?
— Tu pars, Ovila. Tu t’en vas à la gare, pis de là, tu prends le premier train qui va en Abitibi. Va-t-en à Barraute!»
Ovila essayait de se placer les idées vis-à-vis de l’orbite de ses yeux.
«Qu’est-ce qui te prend, Émilie? J’ai juste passé la soirée à faire mes adieux aux gars de la Belgo. Je suis pas saoul, Émilie, j’ai juste pris un verre.
— Un de trop, Ovila. Envoyé, file!
— As-tu le feu?
— Oui! J’ai le feu! File!»
Elle lui chargeait les bras de tous ses effets et le poussait en direction de l’escalier. Elle n’avait pas le choix. Ovila la regardait, incrédule, essayant de comprendre ce qui se passait. Émilie perdit patience.
«File, ou c’est Bob pis Ben pis leur gang qui vont s’occuper de toi.»
Ovila blêmit. Il regarda Émilie puis, penaud, lui demanda si elle pouvait lui avancer quelques dollars.
«J’vas t’avancer ce que tu leur dois demain, Ovila.
— Je peux même pas prendre le train, Émilie.»
Elle expira bruyamment par les narines, se dirigea vers son sac à main, en sortit quelques dollars froissés et les lui mit dans une poche.
«Astheure, va-t’en!
— Pis vous autres?
— Crains pas pour nous autres. Ça t’a jamais tellement tracassé. C’est pas le
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