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Les Filles De Caleb

Titel: Les Filles De Caleb Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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maison, faire les cent pas, regarder la lune et finalement s’engouffrer dans l’étable. Émilie avait la certitude que leurs chagrins battaient à l’unisson. Elle se frotta la joue, beaucoup plus pour calmer la douleur de l’humiliation que celle de la gifle. Elle n’avait pourtant dit à son père que ce qu’elle ressentait. Malgré sa défaite, elle demeurait convaincue de trouver un moyen d’améliorer la situation dans la maison sans provoquer de pénibles conflits. Elle réfléchit, s’étonnant presque de n’éprouver aucune rancœur envers son père. Elle le savait juste. Entêté, mais juste. Elle se morfondait de l’avoir pris à partie devant toute la famille. Si seulement elle avait mieux choisi son moment. Elle essaya vainement d’étouffer son remords en se disant que c’était son père qui, par sa mauvaise humeur, l’avait provoquée.
     
     
    Caleb regardait Grazillia lécher son nouveau-né à grands coups de langue rose et lisse. Né depuis moins de deux heures, il se tenait déjà solidement debout sur ses pattes et tétait aux trayons de sa mère.
    «Maudite Grazillia ! Qu’est-ce que tu penses que j’vas faire avec un p’tit bœuf ? C’est des génisses que j’ai besoin. Un bœuf, c’est presque un an de perdu. Le temps qu’il tète on peut pas avoir de lait pis après ça, il faut qu’on le tue si on veut pas se ruiner à l’engraisser. Maudite Grazillia!»
    Le souvenir de la naissance d’Émilie lui revint à l’esprit. Quand il avait soulevé sa première-née, il n’avait pas osé avouer sa déception de ne pas avoir un fils. Il lui avait semblé tellement normal que, sur une ferme, on ait d’abord des fils. Des fils pour assurer la succession. Pour prendre la relève. Il se sourit, conscient qu’en bon fermier il avait les idées contradictoires. Quand une femme avait des enfants, on voulait qu’elle ait des mâles. Le plus de mâles possible. Par contre, quand il s’agissait d’une vache, tout ce qu’on voulait, c’était des femelles. Il eut un pincement au cœur. Émilie n’avait-elle pas essayé de lui démontrer que lui, Caleb, ne traitait pas tous ses enfants de la même façon ? Il avait été convaincu qu’elle exagérait jusqu’à ce qu’il se mette à table. Le souper, froid, lui avait semblé infect. En voyant ses filles manger sans s’en formaliser, il avait compris qu’Émilie n’avait peut-être pas exagéré. Ces pensées l’agaçaient. Caleb n’aimait pas remettre en question des choses établies depuis toujours. Il aimait encore moins se remettre en question. Comment se faisait-il qu’aucune de ses sœurs à lui ne se fût jamais plainte ? Émilie lisait trop. Elle était devenue trop savante. Elle prenait trop d’idées dans les livres. Malgré ses treize ans, elle était la plus grande de tous les élèves de son école. Elle ne cessait pas de pousser. Émilie lisait trop. Mais son esprit, pensa- t-il, n’était pas assez grand pour saisir toutes les nuances de la vie. Il comprit qu’il n’avait qu’une chose à faire : retirer Émilie de l’école. L’obliger à apprendre à être une bonne femme de maison. Une femme heureuse de satisfaire sa famille. Il fallait qu’elle soit comme sa mère. De toute façon, que lui donneraient toutes ses connaissances quand, dans cinq ou six ans, elle serait mariée, établie ? Les livres ne lui apprendraient jamais le langage de la terre.
    Caleb décida néanmoins de demander l’avis de Célina. Un rot lui rappela le goût du souper. Il le détesta autant qu’il se détestait d’avoir agi comme il l’avait fait. Mais un père était un père. Il n’avait agi qu’en père qui veut former ses enfants correctement. Il lui faudrait parler à Célina.
     
     
    Les enfants décidèrent, sans se consulter, qu’il valait mieux aller dormir. Ils préféraient le sommeil à la tension qui de nouveau avait envahi la maison. Célina leur souhaita une bonne nuit tout en se demandant si elle ne devait pas luire porter quelque chose à Émilie. Elle haïssait le sentiment qui la tiraillait. D’une part, elle considérait que la punition d’Emilie était pleinement justifiée. D’autre part, elle n’approuvait pas de priver un enfant en pleine croissance. Elle se convainquit pourtant de se ranger du côté de son mari. Son autorité avait été mise à rude épreuve et Célina n’avait pas l’intention de la contester. Elle donna le sein au bébé et le caressa longuement avant de le

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