Les Filles De Caleb
vaches. Émilie éclata de rire. Elle qui avait eu la certitude qu’il était sur son départ, le trouva occupé dans des fonctions quotidiennes. Il lui expliqua que levé tôt et voyant que le mauvais temps retarderait son départ, il avait pensé donner un coup de main. Émilie le remercia et lui demanda s’il assisterait à la messe avec eux. Ovila répondit qu’il le ferait si le temps ne se dégageait pas.
Deux voitures venant de chez Caleb arrivèrent à l’église. La première, conduite par Caleb, transportait la famille habituelle. La seconde, dirigée par Ovila, Émilie et Berthe. Il n’y avait pas de paroissiens attardés devant l’église, la pluie ayant quelque peu précipité leurs dévotions. Caleb dirigea sa famille à leurs deux bancs. Ovila fermait la marche derrière Berthe et Émilie. Ils ne purent ignorer les quelques murmures qui naissaient à leur passage. Les deux filles retenaient un fou rire. Caleb passa à côté d’Elzéar Veillette et le salua de la tête. Veillette se tourna pour regarder Ovila. Émilie n’avait pas besoin de comprendre les chuchotements pour savoir ce qu’ils disaient. On s’interrogeait sur la présence d’Ovila; on se demandait qui il était. Les filles devaient le trouver beau et grand. Mais ce qu’Émilie souhaitait entendre, c’est qu’elle et Ovila formaient un beau couple.
La grand’messe fut chantée avec beaucoup de cœur à défaut de voix. Emilie chuchota à l’oreille d’Ovila que c’était Isidore Bédard, le cousin de sa mère, qui était le maître chantre. Ovila s’enfonça la tête dans les épaules, faisant un air qui voulait dire à Emilie qu’il s’en excusait. Émilie sourit.
Depuis les trois ans qu’elle allait à la messe du dimanche avec Ovila, elle ne s’était jamais assise dans le même banc que lui.
Un rayon de soleil illumina le seul vitrail de l’église situé au-dessus de l’autel. Émilie et Ovila furent incapables de s’en réjouir. Ils sortirent de l’église parmi les premiers. Ovila attendit sur le perron que le cousin de sa mère descende du jubé. Il demanda à Émilie de l’identifier, certain de ne pas le reconnaître. Émilie le lui pointa discrètement. Ovila se dirigea vers lui, lui tapota l’épaule, se présenta et Isidore Bédard lui serra chaleureusement la main. Il le présenta à la ronde, ce que Caleb n’apprécia pas, ayant préféré le faire lui-même. Mais il avait d’autres préoccupations. Il tenait Elzéar Veillette à l’œil, n’attendant que le moment où ce dernier apercevrait l’étalon d’Ovila. À cause de la pluie, tous les chevaux avaient été conduits aux abris. Caleb qui, habituellement, s’attardait inconsidérément sur le perron à parler avec ses concitoyens, semblait pressé de partir. En fait, il fut le premier à aller quérir son attelage et invita Ovila à le suivre «pour pas que tu perdes de temps astheure que le soleil est revenu». Ovila lui emboîta le pas sans se douter qu’il allait être au centre d’une jolie commotion. Il suivit Caleb qui dirigea sa jument — la vieille — juste au pied des marches du balcon. Elzéar Veillette avait le dos tourné. Caleb immobilisa la voiture et invita sa famille à monter. Ovila descendit de la sienne et assista Berthe et Émilie. C’est à ce moment qu’Elzéar Veillette se tourna.
Il vit l’étalon, ouvrit la bouche et la pipe lui tomba du bec, se brisant net sur le perron. «Ha ben, baptême! » chuchota-t-il de façon à ne pas être entendu du curé qui venait de les rejoindre. Il descendit les marches et s’approcha de la bête. Il en fit le tour. Ovila et Émilie le regardaient faire sans s’en formaliser. Ce cheval faisait toujours son petit effet. Caleb, par contre, ne quittait pas Veillette des yeux, riant sous cape. Veillette, son inspection terminée, se dirigea vers lui d’un pas décidé. Il fulminait.
«C’est ça, Bordeleau, ton ch’val de labours?
— Non...c’est le ch’val de la visite. Pis laisse-moi te dire, Zéar, qu’il s’est pas fait prier pour servir la belle pouliche que tu m’as vendue. Si ça t’intéresse, Zéar, dans quelques années tu viendras me voir. On discutera d’un bon prix pour que l’étalon que la pouliche va me donner serve tes juments.
— Elle va te donner une jument, Caleb. Elle vient d’une lignée de juments. » Il regarda encore une fois l’étalon et se retourna vers Caleb. « Caleb Bordeleau, tu es un maudit
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