Les Filles De Caleb
cédé à Dosithée. Il l’avait fait sans remords, sachant que sa terre serait bien entretenue par les fils Pronovost.
L’acte de vente avait été dûment notarié. Le père Mercure avait cédé ses terres «d’en haut» à Dosithée et celles «d’en bas» à un autre acheteur qui voulait sa maison et les bâtiments. Dosithée avait amené Edmond avec lui, comme témoin, en lui faisant jurer de ne pas parler de la transaction à sa mère. En cachette, il avait fait porter les matériaux là où il avait l’intention de construire la maison. Ses fils, maintenant tous au courant de l’affaire, venaient, mine de rien, l’aider à monter la charpente quand le temps n’était pas assez clément pour travailler aux champs. Félicité, à qui il était habituellement impossible de cacher quoi que ce soit, n’avait rien vu. Sa grossesse difficile, la maladie d’Ovide et quatre arpents dont deux semi-boisés, lui avaient ménagé la surprise. Ne sortant plus de la maison, pas même pour assister à la messe, elle n’avait jamais vu le chantier. Dosithée, convaincu que cet enfant serait leur dernier — comme il l’avait d’ailleurs été à la naissance de Télesphore avait décidé d’offrir à sa femme la maison qu’elle avait toujours souhaitée mais qu’elle n’avait jamais osé demander. Une maison avec une grande cuisine, un salon et deux chambres à coucher au rez-de-chaussée et quatre chambres à l’étage, sans parler d’un immense placard de cèdre. Dans leur présente maison, c’est ce placard que Félicité avait sacrifié pour y installer Ovide et permettre aux filles de retourner dans leur chambre. Maintenant, Dosithée en convenait, la famille était trop à l’étroit. La nouvelle maison, il le savait, ne serait pas prête avant l’été suivant, ce qui donnerait à Félicité le temps de préparer le déménagement.
Félicité n’avait encore rien appris lorsqu’elle ressentit, en pleine nuit, les premières douleurs de l’accouchement. Elle attendit le matin avant d’avertir la sage-femme. Cette dernière était arrivée aussitôt prévenue. Félicité était dans sa chambre et s’étonnait du mal qu’elle ressentait. Ce mal était le plus aigu qu’elle eut enduré depuis ses trois premiers accouchements. Elle avait perdu trois enfants avant la naissance d’Ovide. Ces enfants morts-nés l’avaient inquiétée sérieusement quant à son avenir de mère. Dosithée l’avait encouragée, blâmant, sa petite taille pour tous les problèmes. L’arrivée d'Ovide avait réconcilié sa mère avec la vie, à tel point qu’elle avait par la suite donné naissance à un enfant chaque année ou presque.
La sage-femme venait de l’examiner. Félicité avait remarqué son froncement de sourcils.
«J’aime autant être bien franche avec vous, madame Pronovost, mais à moins que je me trompe, il y a quelque chose de pas correct. Le bébé m’a l’air trop haut pis le passage m’a l’air prêt. On va attendre un peu pour voir. »
Félicité prit son mal en patience. La sage-femme l’examina à nouveau et fronça encore les sourcils. Dosithée la demanda, trouvant anormal le temps que sa femme mettait à accoucher. La sage-femme lui expliqua que le bébé arrivait par les pieds. Qu’elle n’aimait pas du tout l’allure que prenait l’accouchement. Dosithée lui demanda de faire tout ce qu’elle pouvait.
De retour au chevet de Félicité, la sage-femme lui demanda de se coucher sur le ventre, épaules bien calées dans l’oreiller, tête tournée sur le côté, et de se tenir sur les genoux pliés, fesses en l’air. Connaissant toute l’expérience de la sage-femme, Félicité avait obéi, tenant quand même à préciser qu’elle n’avait jamais accouché dans cette position. La sage-femme lui expliqua qu’on lui avait déjà dit que si le bébé ne voulait pas se tourner, il fallait tourner la mère. Félicité, aux limites, de l’endurance, était demeurée dans son inconfortable position jusqu’à ce qu’elle sente glisser le bébé et en avise la sage-femme. Cette dernière avait soupiré et avait aidé Félicité à se recoucher sur le dos.
«Je dirais qu’astheure le p’tit va se montrer le pignon de la tête. »
Mais il n’en fut rien. Félicité demanda de l’eau tant elle transpirait. La sage-femme lui en donna. Dosithée frappa encore à la porte. Il s'inquiétait. Il demanda discrètement s’il devait aller chercher le médecin. La sage-femme
Weitere Kostenlose Bücher