Les Filles De Caleb
n’expire.
«Marie-Anne, Émilie. Une grosse fille qui a vécu un peu moins de dix minutes. Toute une vie hein...»
Il se tut, ayant l’impression d’avoir tout dit. Émilie osa enfin demander comment se portait la mère.
«Le docteur est parti de bonne heure à matin. Si môman passe la journée, elle sera probablement correcte.»
I1 interrompit sa phrase et sa pensée. Emilie avait compris. Une longue journée en perspective. Elle lui serra la main, s’excusa de devoir le bousculer mais lui expliqua qu’il était temps qu’elle retourne à l’école. Ovila se retourna, furieux.
«Ma mère agonise pis tu trouves rien de mieux à me dire que tu dois aller travailler? Bonyeu, t’as-tu une roche à place du cœur? Tu pourrais pas rester avec moi quand j’ai besoin que tu restes?»
Déchirée, Emilie tourna les talons et s’enfuit à la course. Ovila n’eut même pas le temps de l’arrêter. Elle l’entendit lui demander de l’attendre mais elle n’en fit rien.
«Tu es pas une femme, Emilie, tu es un cerveau sans cœur! »
La journée fut longue et triste. Aucun des enfants Pronovost ne s’était présenté en classe. Elle permit à ses élèves de quitter tôt. Elle ne tenait plus debout, drainée par son manque de sommeil et par sa peine. Elle rangea la classe méticuleusement, préférant nettement occuper ses mains plutôt que de permettre à son esprit de divaguer. Elle attendait Ovila, certaine qu’il avait vu les enfants quitter l’école. Il ne vint pas. Son absence lui fit craindre le pire.
Emilie trompa son attente jusqu’au coucher du soleil. N’y tenant plus, elle décida d’aller s’informer. Elle sortit de l’école et marcha résolument en direction de la maison des Pronovost. Mais elle s’arrêta. Et si elle arrivait pendant que la mère rendait son dernier souffle? Elle décida de frapper à la porte des Joseph-Denis. Ils devaient sûrement être au courant.
La mère de Joseph, madame Virginie, lui ouvrit, un tablier bleu épinglé sur son tablier blanc. En d’autres circonstances, Emilie aurait souri à cette manie qu’elle avait de protéger son tablier propre par un tablier sale. La mère Virginie l’invita à entrer et à s’asseoir. Emilie accepta en jetant un coup d’œil circulaire dans la cuisine. Elle n’était jamais entrée dans cette maison, mais elle avait entendu dire qu’elle était tenue de façon impeccable. Elle fut impressionnée par les lieux, et oublia même pour quelques instants l’objet de sa visite. Pas un grain de poussière. Pas une petite motte de boue à l’entrée de la porte arrière. Un plancher ciré comme un plancher de salon. Une table recouverte d’une nappe repassée et empesée. Elle coupa court à ses réflexions quand madame Pronovost lui demanda si elle avait eu les dernières nouvelles. Émilie lui avoua qu’elle n’en avait eu aucune depuis le matin. Elle s’arrêta quelques secondes, le temps de voir si elle avait sonné une alerte en disant qu’elle avait eu des nouvelles le matin. Ne discernant aucune réaction, elle demanda s’il y avait eu des développements. La mère Virginie lui sourit et lui annonça que sa belle-sœur se portait bien, compte tenu des circonstances évidemment, qu’elle avait mangé le midi et le soir et qu’il semblait bien que l’extrême-onction avait, encore une fois, fait des miracles. Émilie ferma les paupières et soupira. Un long soupir de soulagement. Elle se leva enfin, légère, ranimée, les remercia tous, les complimenta sur la maison et reprit le chemin de l’école.
Elle s’assit longtemps dans sa berceuse et attendit l’arrivée d’Ovila. Il devait probalement être retenu par ses corvées. Elle commença à s’inquiéter quand le soleil fut couché depuis assez longtemps pour avoir endormi les animaux. Elle alluma ses lampes et attendit encore. Elle attendit jusqu’à ce qu’elle vît s’éteindre toutes les lumières chez les Pronovost, sauf celles d’un bâtiment.
Les nuages voilèrent le soleil, jetant une ombre sur les visages déjà gris de Dosithée et de ses enfants. Plusieurs personnes avaient assisté à la cérémonie des Anges. On mettait en terre le petit cercueil blanc qu’Ovila avait fabriqué pendant la journée du vendredi et la nuit qui avait suivi. Félicité étant alitée, le curé avait proposé que le bébé ne soit exposé que le matin du samedi et enterré l’après-midi même. Émilie n’avait pas été avisée. Elle n’assista
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