Les Filles De Caleb
qu’elle se portait bien. Félicité lui avait confirmé le départ d’Ovila.
Émilie allait souvent à la poste, espérant toujours recevoir des nouvelles d’Ovila. Son espoir fut vain. Elle comprit qu’il ne lui avait probablement pas pardonné le fait qu’elle l’ait laissé à sa solitude ce fameux matin... Elle regrettait son entêtement à rentrer à l’école, mais elle savait aussi qu’elle n’avait pas eu de véritable choix. Depuis, elle avait passé de nombreuses soirées à s’essuyer les yeux, secouée par une peine qu’elle voulait sans fondements réels. Il aurait été si simple qu’elle et Ovila puissent reparler de cette journée. Ovila n’avait pas semblé du même avis. Elle écrivit à Berthe et lui raconta tous les malheurs qui avaient frappé la famille Pronovost. Elle avait terminé sa lettre en disant «qu’un de leurs fils, Ovila, avait tellement été ébranlé qu’il avait quitté le village sans en aviser personne». Elle était certaine que Berthe comprendrait. Elle n’avait pu relater dans les détails la scène qu’ils avaient eue, se contentant de dire que ce même fils, son ancien élève, était venu la voir pour chercher «réconfort et bonne parole» et lui demander de prier. Ne sachant trop comment décrire son attitude à elle, elle s’était contentée d’écrire qu’elle «n’avait pu lui accorder toute l’attention désirée, étant donné qu’elle devait être en classe pour l’arrivée des enfants».
Berthe avait compris le message d’Émilie et lui avait écrit une longue lettre pour la consoler. Elle avait fait allusion à l’«enfant prodigue» en termes tellement discrets qu’Émilie dut relire la lettre à plusieurs reprises pour comprendre que Berthe lui disait qu’il reviendrait sûrement et qu’ils pourraient tous les deux s’expliquer. Berthe, dans son silence, avait entendu les cris du cœur d’Emilie.
Emilie était allée dans sa famille pour le temps des Fêtes. Exceptionnellement, elle n’avait montré aucune envie de rentrer à Saint-Tite. Elle avait commencé l’année 1899 sans prendre conscience qu’elle était témoin de la fin d’un siècle. L’hiver avait encore une fois cédé le pas au printemps et Emilie avait espéré qu’Ovila revienne du chantier. Il ne revint pas. Elle avait centré toutes ses énergies sur son enseignement, préparant ses élèves à une fin d’année sans heurts pour la visite de l’inspecteur. Fidèle à ses habitudes, ce dernier était venu, poussiéreux, par une journée chaude et humide de juin. Il s’était efforcé d’arriver plus tôt de façon à pouvoir passer l’après-midi entier dans la classe d’Emilie. Elle avait compris qu’il en serait toujours ainsi et n’avait pas abandonné sa coquette gentillesse.
Le soleil tapait aussi dru que possible quand il était arrivé. Henri Douville avait commencé sa visite comme il le faisait toujours, soit en lisant tous les cahiers qu’Emilie mettait à sa disposition. Elle n’avait plus oublié de préparer un plan de la classe. Elle s’était même permis d’indiquer lesquels de ses élèves excellaient dans les différentes matières. Elle avait compris que l’inspecteur Douville ne tenait pas particulièrement à interroger les élèves qui connaissaient des difficultés. Henri Douville faisait son travail honnêtement. Il détestait ses pairs qui jugeaient trop sévèrement une institutrice en interrogeant les élèves au hasard. Henri Douville, lui, avait un jour décidé que l’école était faite pour apprendre et il connaissait les difficultés éprouvées par les enfants qui voulaient y être de façon assidue. Les parents, selon lui, ne les encourageaient pas suffisamment, n’ayant pas compris ce que lui, Douville, avait compris. L’instruction deviendrait une nécessité. A preuve, les frêres Saint -Gabriel avaient entrepris depuis quelques mois la construction d’un collège à Saint-Tite mêne. Henri Douville avait eu le privilège d’étudier dans un collège et il espérait que quelques-uns des élèves assis devant lui voudraient en faire autant. Aussi se gardait-il de décourager la moindre ambition.
Comme à chaque année, les élèves d’Émilie avait fort bien passé l’examen. Cette institutrice méritait vraiment beaucoup d’éloges et il ne se gênait pas pour la complimenter. Il aurait trouvé déplacé de lui dire qu’il aimait toujours la rencontrer. En revanche, il trouvait correct de le
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