Les Filles De Caleb
progression à l’intérieur d’une chair blanchie d’avoir été étirée. Il avait repéré la tête du bébé et la tenait doucement mais fermement. Il priait tant il craignait de lui crever un œil ou de perforer la fontanelle. Il eut l’impression d’avoir suffisamment de prise et commença prudemment à tirer l’enfant . Il demanda à la sage-femme d’appuyer sur le ventre à toutes les trente secondes de façon à aider le bébé. Félicité n’avait plus de contractions. Dès que la sage-femme exerçait une pression, le médecin tirait l’enfant à lui. L’enfant mit vingt minutes à sortir de sa prison. Le médecin tenta, aussitôt qu’il le put, de dégager le cordon. A son grand étonnement, le bébé bougea et émit presque un son. Félicité ouvrit un œil puis le referma.
Dosithée observait maintenant le médecin de très près, étonné lui aussi que l’enfant fût vivant après s’être fait tirer avec des pinces. Le médecin dégagea complètement l’enfant, coupa le cordon à toute vitesse et frappa le nouveau-né sans hésitation. L’enfant, visiblement, ne pouvait respirer. Le médecin lui pinça les talons, lui tapa les fesses et le dos. L’enfant ne respirait toujours pas. Félicité, heureusement, n’avait plus conscience de ce qui se passait.
Le curé venait, d'arriver. Il frappa à la porte de la chambre et entra sans attendre de réponse. Il comprit la scène d’un coup d’œil, enfila son étole sans prendre le temps de la baiser et se dirigea vers le lit. Pendant que le médecin s’acharnait encore à faire respirer le bébé, le curé aspergea la petite chose violacée et inerte. Dans son énervement, il utilisa beaucoup trop d’eau. Le bébé réagit à cette douche froide et s’agita. Le médecin s’empressa de le poser sur une commode. Le bébé gémit doucement puis poussa un cri. Le médecin crut que le cœur allait lui sortir de la poitrine tant il était excité à l’idée d’avoir sauvé et la mère et l’enfant. Après son cri, le bébé retomba dans un état de totale inanition. Le médecin recommença à lui pincer les talons. Le bébé murmura mais ne cria plus.
Cependant, le curé administrait les derniers sacrements à la mère dont le teint cireux lui faisait craindre le pire. Le médecin n’avait pas encore eu le temps de s’occuper d’elle tant il était affairé avec le nouveau-né. Il le confia à la sage-femme et revint vers Félicité. Le curé s’éloigna pour lui dégager les abords du lit. Dosithée priait en silence, les yeux grands ouverts, craignant que la mort ne figeât les traits de sa femme. Il entendit de vagues gargouillis mais ne tourna pas la tête pour voir l’enfant. Il aurait bien le temps de le regarder.
Félicité n’avait pas repris conscience et n’avait pas expulsé le placenta. Le médecin fit un rapide examen et comprit qu’il était collé. Le curé avait quitté la chambre pour prier avec les enfants. Le médecin regarda Dosithée et soupira. Il tenterait l’impossible pour la sauver mais il avait rarement vu des mères survivre à tant de problèmes. Dosithée l’encouragea. Le médecin tenta une première fois d’extraire le placenta. Rien ne vint. Il prit le pouls de la mère et décida de la laisser reposer quelques minutes et de voir comment était le bébé. D’un signe de tête, la sage- femme lui fit comprendre qu’il n’y avait plus de bébé. Il revint, vers Felicité, suivi de la sage-femme qui avait couvert le petit corps sans vie.
«Vous allez pousser comme tantôt. Avec de la chance, ça, va sortir.»
À eux deux, ils réussirent. Ils tremblèrent d’épuisement et de tension. Dosithée, plus mort que vif, n’avait pas eu l’énergie d’avoir peur.
16 .
Émilie s’était assise à la fenêtre, curieuse et inquiète. File vit accourir le médecin. Puis elle fut témoin du départ d’Edmond. Sa poitrine se serra quand elle l’aperçut revenir avec le curé.
La nuit cacha à Émilie les détails du drame qui se jouait chez les Pronovost. Elle distingua des silhouettes qui sortaient de la maison. Elle crut reconnaître la sage-femme. Puis le curé, en compagnie de Dosithée. Depuis combien de temps était-elle là à essayer de comprendre une histoire que personne ne pouvait lui raconter? Elle regarda l’heure. Minuit. Elle demeura rivée à sa fenêtre pendant encore quelques heures. Tant pis pour la fatigue du lendemain, les enfants n’auraient qu’à rester
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