Les Filles De Caleb
Charlotte.»
Charlotte comprit. Elle abandonna aussitôt son travail et se dirigea vers la planche à clous, vissée près de la portearrière de la classe. La planche faisait office de portemanteau. Elle chercha le sien. Il lui semblait l’avoir suspendu sur le premier clou à côté de la porte, mais elle ne le voyait pas. Elle regarda sur le deuxième puis le troisième clou. Elle s’inquiéta. Où avait-elle mis son manteau ? Il lui fallait absolument trouver son manteau. Elle revint au premier clou, fouilla sous le manteau qui y était suspendu mais ne vit pas le sien. Elle se tourna vers la classe et essaya d’attirer l’attention d’Emilie mais Emilie parlait à Éva et ne pouvait la voir. Charlotte, trop timide, n’osa pas l’interpeller. Où était son manteau ? Sa mère lui défendait de sortir sans son manteau. Elle décida de chercher une autre fois avant de demander de l’aide. Elle réexamina chacun des clous, n’y voyant plus très bien. Des larmes s’étaient accrochées à ses cils et le menton lui vibrait sous l’effort qu’elle faisait pour retenir ses pleurs. C’est l’heure se répétait-elle. C’est l’heure. Mais depuis combien de temps est-ce l’heure? Elle ne savait absolument plus que faire. Elle regarda à nouveau en direction de la classe et vit que le grand Crête l’observait d’une drôle de façon.
Le grand Crête donna un coup de coude à Paul qui, lui, donna un coup de talon à Lazare qui, lui, donna un coup de balai sur le pied d’Émile, qui toussota pour attirer l’attention d’Ovila. Ce dernier jeta un coup d’œil vers Émilie, fronça les sourcils, souleva les épaules puis se remit au travail. Il déposa une bûche qui, à son grand désespoir, roula sur le sol. Émilie se retourna.
«Ovila Pronovost! Veux-tu bien être plus attentif à ce que tu fais.
— Excusez-moi, mam’selle, je l’ai juste échappée. Regardez, je les ai toutes bien empilées.
— Ça va, mais fais plus attention. »
C’est à ce moment qu’Émilie se rendit compte qu’il y avait quelque chose de louche dans l’air. Quelque chose qui lui échappait. Elle balaya la classe du regard. Tout semblait se dérouler normalement. Les enfant parlaient à voix basse comme ils étaient autorisés à le faire. Ils étaient tous à l’endroit qu’elle leur avait désigné. Mais quelque chose clochait. Elle demanda à Éva ce qui se passait. Éva ne comprit pas le sens de sa question. Émilie se retourna encore une fois vers ses autres élèves mais ils avaient tous l’air occupés. C’est à ce moment qu’elle entendit une espèce de couinement. Un son qui ressemblait à la fois au sifflement du vent d’hiver et aux pleurs d’une portée de chiots.
«Qu’est-ce que c’est que ce bruit-là?» lança-t-elle à la ronde. Le grand Joachim Crête la regarda d’un air on ne peut plus innocent.
«Ça serait pas Charlotte par hasard, mam’selle?»
Émilie retroussa sa jupe et se dirigea à l’arrière de la classe. Le spectacle était désolant. Charlotte se tenait debout à côté des manteaux, les yeux rivés au plancher. L’urine lui coulait encore sur les jambes.
«Charlotte! mais qu’est-ce qui t’est arrivé?»
Charlotte éclata en sanglots. Au même moment, le grand Joachim et ses amis éclatèrent de rire.
Émilie s’agenouilla pour consoler Charlotte puis, consciente que les autres riaient, se retourna vers la classe et leur ordonna plus que sèchement de regagner leurs places.
«Charlotte a pissé à terre», cria le grand Joachim de sa voix éraillée d’adolescent.
Émilie le fusilla du regard et l’avertit qu’elle ne voulait plus l’entendre braire un seul mot après quoi elle reporta son attention vers Charlotte qui était inconsolable. Emilie essaya de comprendre la cause de l’accident mais Charlotte
:u
hoquetait maintenant beaucoup trop pour lui expliquer quoi que ce lui.
«Eva, apporte-moi le torchon pis la chaudière.»
Eva s’exécuta le plus rapidement possible. Elle tendit la guenille à Emilie et resta à regarder la scène. Émilie commença par essuyer les jambes de Charlotte, puis ses bottines, puis le plancher. Elle était furieuse, Charlotte malheureuse et Éva trop curieuse.
«Merci, Éva. Tu peux aller te rasseoir.»
Eva se sentant prise en défaut retourna à sa place mais chuchota sur son passage qu’il était vrai que Charlotte avait pissé par terre. Le grand Joachim répliqua, assez fort
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