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Les fils de Bélial

Les fils de Bélial

Titel: Les fils de Bélial Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Lebaudy. Sans lui, on n’aurait pas pu entrer.
    –  Une tortilla de plus, dit Paindorge.
    Il avait pris un air rassasié mais ses yeux brillaient d’une sorte de concupiscence.
    –  Du bon froment ! dit Lemosquet. Du vrai. Les Goddons font merveille pour obtenir ce qu’ils veulent.
    –  La menace ? suggéra Tristan.
    –  Non, messire. L’or et l’argent dont faut pas chercher la provenance.
    –  Y a-t-il une fève ? demanda Paindorge que le grand gâteau doré, déposé respectueusement sur les paumes de Tristan, mettait soudain en appétit.
    –  C’est pas l’Épiphanie, bêta, dit Lebaudy. C’est la Chandeleur avec une petite semaine de retard.
    –  Cela fait donc un an… commença Tristan.
    –  Un an quoi messire ? interrogea Paindorge. Ça fait plus d’un an qu’on passe notre temps à trucher et noqueter 170 dans cette Espagne en semant le malheur…
    –  Cela fait un an, Robert, qu’Ogier d’Argouges est mort.
    Les hommes consternés baissèrent la tête.
    –  Je n’y pensais pas plus que vous, mes compères, dit Tristan, touché par tant d’émoi. Vrai, je n’y pensais pas, mais il y a cette galette, cette Chandeleur, plutôt. Elle m’a déverrouillé la cervelle. Maintenant, je me souviens. C’est le jour de la Chandeleur, l’an passé 171 que nos vaillants routiers ont envahi Barbastro. Deux cents Juifs cramés dans l’église. Ensuite, Briviesca : deux cents autres 172 .
    –  C’est vrai, dit Paindorge. Et nous en sommes tous dolents. Le lendemain de la flambée de Briviesca, votre beau-père était occis par Lionel, son fils. Mais ça ne mène à rien de vous tourmenter. Pensez à vivre, messire, partant à manger !
    La galette était savoureuse. Tristan sentit renaître en lui, à mesure qu’il s’en délectait, ce goût de vivre qui parfois semblait s’éteindre ou plutôt s’exténuer entre deux tristesses, deux découragements nés de rien pour ce qui concernait son état d’homme de guerre et de tout pour sa condition d’exilé. Boire, manger : subsister. Il buvait car le vin était bon. Il mangeait parce que ce devait être ainsi. Mais était-ce vivre ? Il ne pouvait se satisfaire d’assouvir ces désirs ordinaires, même si la présence de Paindorge et des deux soudoyers comblait en partie le vide d’une existence vouée à une destinée qu’il supposait plus chargée de ténèbres que de clartés.
    Ce mercredi serait donc différent des autres pour cause de friandise. Cependant, l’estomac plein et le cœur vide. Tristan ne pouvait oublier l’absent. Ogier d’Argouges s’était réimposé si brusquement et fortuitement à sa mémoire qu’il en était dolent comme le matin de sa mort.
    « Tout eût été plus net en sa présence… Plus cordial. »
    On eût fait six parts de galette, dont celle du pauvre. On eût bien trouvé un récipient pour figurer le pot à aumône indispensable en cas de festivité chez les petits seigneurs comme chez les grands, à moins qu’on n’eût tiré la sixième rate 173 à la courte-paille. On eût bu et bavardé davantage qu’à l’ordinaire et sans doute évoqué les absents et les absentes plus éloquemment. Oui, c’était une malignité du destin qu’il pensât, ce jour de fausse Chandeleur, à tous ceux et celles qui à Gratot – et sans doute à Castelreng – songeaient à son absence avant de songer peut-être à sa personne. Or, comment faire autrement ? Il ne pouvait que se replier sur lui-même. Son visage gercé de froid devait avoir l’aspect las et résigné de ceux qui souffraient d’une male chance assidue en toute chose. Les traits et les formes de Francisca, déjà, perdaient leur netteté. S’il la voyait, c’était sans doute comme les chevaliers de Terre Sainte atteints, dans le désert, d’un ragle (445) qui faisait éclore au fond de leurs prunelles des cités blanches, le minaret d’une mahomerie, le miroir d’une source et les inévitables palmiers. Il était seul. Quelque lucides, avenants et serviables qu’ils fussent, ses compères ne le pouvaient toujours comprendre. Il les entendait parler sans vouloir connaître leurs propos. « À Gratot… » À quoi bon y songer : Ogier d’Argouges n’était point là pour l’entretenir d’un dessein destiné à embellir le châtelet ou de l’acquisition d’un cheval à la foire de Lessay… ou de l’achat d’une charrue meilleure que l’ancienne chez le fèvre de Saint-Malo-de-la-Lande et dont il était

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