Les fils de Bélial
qui pouvait susciter une guerre, le remplaçant de Pèdre refusait de livrer au roi d’Aragon le comte d’Osuma 168 , fils de Bernai de Cabrera, proscrit en Aragon et naguère serviteur de Pèdre. À force de temporisations, d’instances, voire de supplications, – il en était capable – Henri avait obtenu de Pierre IV qu’il conservât à son service les Compagnies aragonaises commandées par Villena.
Paindorge qui n’avait ni les oreilles ni les yeux sous son chaperon rapporta un jour – le 7 février – que les Cortès, conscients des ravages et tueries provoqués par une possible victoire de Pèdre, venaient d’adopter une taxe qui imposait une dîme d’un denier par maravédi sur toutes les ventes. Il était mal informé. Cet impôt avait été levé un an plus tôt. Il avait produit, on le sa vait maintenant, dix-neuf millions de maravédis : le pactole pour Henri. C’était pourquoi l’on avait vu converger vers Burgos des hordes de mercenaires. Or, le roi avait espéré compter des paysans dans les rangs de son armée. Tous avaient préféré demeurer sur leur terre pour défendre leur foyer contre toute attaque des Compagnies.
Henri craignait d’être occis par quelque mécontent de son entourage – ou d’au-delà. On racontait que, s’étant rendu au palais du roi pour exprimer une requête, un gentilhomme zamoran, Ferrand Alfonso, avait été roué de coups et blessé par des huissiers nombreux, insensibles à son rang et à ses objurgations. De retour à Zamora, distant de soixante lieues de Burgos, ce rico hombre y avait soulevé les manants, les bourgeois et les nobles et proclamé don Pèdre. Les défenseurs du château, qui n’avaient cessé de tenir pour ce prince, s’étaient alliés à leurs assiégeants. Complétée par des milices bourgeoises, la garnison avait accompli des courses dans la province et même épaulé les révoltés de Galice. Quelques troupes envoyées de Burgos par Henri avaient été vaincues par cette armée populaire qui, redoublant d’audace, avait envahi le royaume de Leôn pour y semer la mort. Dans le chaos qui s’instaurait chacun voulait, en obtenant la faveur du peuple, s’assurer de son dévouement et, surtout, de son obéissance. Ainsi, don Tello, marié à l’héritière de Lara, tenait d’elle en dot la seigneurie de Biscaïe. Cette dame étant morte par la volonté de Pèdre sans laisser d’enfant, don Henri avait rendu à son frère cet héritage que le roi déchu avait réuni à la Couronne. Cette donation était contraire aux usages de la province et au vœu exprimé à la diète de Guernica en 1357, où les députés biscaïens avaient choisi pour seigneur le roi de Castille. Tello savait que son seul titre à la seigneurie de Biscaïe était aux yeux de ses vassaux son alliance avec la maison de Lara. Cette alliance n’ayant plus lieu d’être, il était douteux qu’ils voulussent confirmer la décision de Henri. Or, en novembre 1366, on avait appris qu’une femme venait de se montrer, à Séville, sous le nom de dona Juana de Lara, dame de Biscaïe. On l’avait amenée à Burgos et don Tello, qui savait à quoi s’en tenir sur cette prétendue princesse (443) , l’avait reconnue pour son épouse et s’était évertué d’accréditer cette fable. Il avait vécu avec l’aventureuse, la traitant comme sa femme jusqu’à ce que des bavardages eussent rendu l’imposture publique. De plus, la noble dame prenant goût à la supercherie, l’on avait craint qu’elle ne se déclarât pour Pèdre et n’entraînât les Biscaïens dans son camp. Elle avait brusquement disparu. Les uns, comme Paindorge, l’imaginaient éplorée, assise sur son séant dans un cul de basse-fosse, les autres immobile, couverte de chaînes, au fond du lit de l’Arlanzôn.
On évoquait moins don Pèdre et ses fureurs criminelles que son allié, le prince de Galles auprès duquel il avait trouvé un refuge doré. Régnant sur la Guyenne, le Poitou et toutes les provinces cédées à son père, Édouard III, par le traité de Brétigny, l’héritier d’Angleterre tirait des revenus considérables de tous ces pays riches, qu’il s’était gardé d’asservir. Sa cour, à Bordeaux, était des plus magnifiques. Maints étrangers la fréquentaient, attirés, disait-on, par les courtoises manières du prince et son caractère doux, modeste et affable, tout autant que par les joutes, tournois, pas d’armes et autres liesses guerrières qui s’y
Weitere Kostenlose Bücher