Les fils de Bélial
d’être trahi par Charles de Navarre, Lancastre avait neutralisé les cités susceptibles de s’opposer à son cheminement, particulièrement Mirande qui avait souffert de son passage. Il n’existait qu’une route praticable aux chevaux : celle qu’avait pris jadis Charlemagne et qui, partant de Saint-Jean-Pied-de-Port entrait dans la vallée de Roncevaux, franchissait les montagnes et suivait le cours de l’Arga pour venir déboucher à Pampelune.
– Que fera Charles de Navarre, messire ? demanda Paindorge à Tristan dès qu’on eut appris, dans Burgos, la venue des Anglais.
– Ce que je peux te répondre à coup sûr, c’est qu’il trahira ou Pèdre, ou Édouard ou Henri… et sans doute les trois à la fois (452) .
– Moi, dit Lebaudy, ce qui me paraît étrange, c’est qu’on n’a point vu Guesclin, pas vu Couzic, pas vu le cousin du Breton, Olivier de Mauny, cette grande goule…
– Mauny est au château de Boija (453) et il n’est le cousin de Guesclin qu’à la mode de Bretagne. C ’est un routier et des pires. Quand un Breton se fait routier, il est béni par Satan, Bélial et toute la pourriture… Allons, les gars, il est temps de préparer vos armes, de sortir les chevaux peu à peu chaque jour afin de déroidir leurs jambes… et de prier de votre mieux sans pour autant aller attraper la crève à la cathédrale !
*
Quatre jours plus tard, à prime, l’armée, Henri en tête, abandonna Burgos empêtré dans ses habituelles brumes nocturnes (454) .
Lorsqu’il se fut retourné pour voir une ultime fois la cité, Tristan, qui chevauchait à l’arrière-garde, se reprocha de n’avoir pas rendu, la veille, même au risque d’être éconduit, une dernière visite à Joachim Pastor.
– Peut-être qu’il est mat, à présent, suggéra Paindorge qui versait dans la mélancolie. Il existe des chagrins, messire, qui tuent aussi efficacement qu’une épée.
Burgos leur laisserait en mémoire des souvenirs d’ombres aimées, de peines incurables et de froidure.
Les Bretons, les ricos hombres, les grands seigneurs suivaient le roi. Derrière venaient les Anglais, tous ensemble, en excellent arroi, puis les chevaliers de maigre importance, leurs lances et leur bagage. Derrière, les garçons (455) et l’innombrable ribaudaille (456) et les enfants perdus 180 . Personne ne chantait ni ne riait : tous savaient qu’ils allaient conjointement à la bataille même les Anglais dont une fois encore – la dernière -on attendait la défection. Depuis quelques jours, Guesclin et Calveley ne se regardaient que de loin et l’on avait vu Henri s’employer à les apaiser l’un et l’autre.
– Où allons-nous ? demanda Lemosquet qui montait Babiéca et menait Carbonelle bâtée à la longe.
– Haro.
– Haro ?… Haro, dites-vous ? C’est un nom tout trouvé pour la prochaine bataille 181 ?
Après qu’elle eut monté, descendu des collines sinué dans des gorges au sortir desquelles on distinguait, sur le ciel gris, les découpures de forteresses haut perchées, l’armée fut devant Santo Domingo de la Calzada. Les hommes étaient fourbus et les chevaux montraient des signes de fatigue. Comme toujours, les routiers et la piétaille espagnole établirent leur logement hors des murs et les seigneurs entrèrent dans la cité à la suite du roi et de Guesclin, suivis de Couzic mystérieusement réapparu.
Aucun palais, une vieille cathédrale, un couvent qui semblait vide et des maisons seigneuriales qu’on fît ouvrir en hâte et dont on repoussa les occupants dans les communs : hé quoi ? on avait sommeil après avoir piété toute la nuit sur des chemins difficiles, dans le froid, à la lueur de mille et mille torches puisque la lune était absente.
Après avoir entendu que, cédant à la requête de Guesclin, le roi s’apprêtait à envoyer un message au prince de Galles pour le dissuader de l’assaillir, Tristan se hâta de disparaître afin d’échapper aux regards du Breton. « À d’autres », se dit-il, « la désagréable corvée. » D’ailleurs, quel que fût le ton de la mise en garde, le vainqueur de Poitiers n’en tiendrait aucun compte. Sûr de lui et de ses hommes, il devait se montrer inquiet et impatient d’un seul événement : le retour de Calveley et des quatre cents lances qui renforceraient son ost. Cette récupération comportait un précieux avantage : tous ces Anglais s’étaient aguerris sur le terrain ; ils
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