Les fils de Bélial
les autres viendront par ce pas. Nous vaincrons ! Nous vaincrons par votre aide !
Don Sanche, qui s’était inquiété, sourit. Audrehem fit un pas en avant :
– Sire, dit-il en grattant sa barbe parce qu’il cherchait ses mots, sauve soit votre grâce, je ne vous veux reprendre de votre parole, mais je la voudrais amender un tantet… et vous dis que, quand par batailles vous vous assemblerez contre le prince, vous trouverez là des gens d’armes, des vrais, car vous aurez en face la fleur de toute la Chevalerie du monde. Ce sont des gens durs, sages et bien combattants. Ils préféreront mourir de plain-pied que de fuir. Et si vous me voulez croire, vous les déconfiriez tous sans coup férir si vous faisiez garder les détroits et les passages pour que leurs pourvéances 257 ne leur puissent venir. Vous les affameriez et les écraseriez par ce point. Ils retourneraient dans leur pays sans arroi ni ordonnance. Dès lors, ils seraient à votre volonté.
Henri ne cacha pas son courroux. Quoi ! On lui proposait la cautelle 258 à l’appertise, la victoire sans gloire au triomphe éclatant. Sa voix tonna et pour la première fois depuis son couronnement, les éclairs de son regard parurent s’être illuminés au contact de sa couronne d’or :
– Maréchal, par l’âme de mon père, je désire tant à voir le prince et d’éprouver ma puissance à la sienne que jamais nous ne partirons sans bataille. Et, Dieu merci ! J’ai et aurai bien de quoi. Sept mille hommes d’armes, chacun monté sur un bon coursier et tous couverts de fer qui ne ressoigneront 259 trait ni archer. Vingt mille autres gens d’armes montés sur des genets et armés de pied en cap. De surplus, j’ai bien soixante mille hommes des communautés, à lances et archegaies à dard et à pavois 260 qui feront un grand fait.
– Mais…
L’objection du maréchal fut balayée d’un geste : le tranchant de la main avant celui de l’épée.
– Tous ont juré, messire Audrehem, qu’ils ne failliront pas, devraient-ils mourir devant l’ennemi… De sorte que je ne dois point m’ébahir de quoi que ce soit, mais me conforter grandement en la puissance de Dieu et de mes gens !
Audrehem recula. Rien d’autre ne se révélait sur son visage au pelage inculte qu’une déception sans fond. Il avait participé à certaines batailles – parfois d’assez loin –, il venait de retrouver, dans le langage du roi, les propos qu’il avait ouïs à la fin du règne de Philippe VI et lors de celui de Jean le Bon qu’il avait poussé, à Poitiers, à la bataille alors qu’il eût fallu freiner son ardeur belliqueuse.
– Soit, dit-il, vous avez tout le commandement.
Disait-il cela pour déplaire à Guesclin ?
Le Breton avait écouté, bras croisés, sans jamais laisser paraître une velléité de contradiction. Il regrettait visiblement de n’avoir pas occis Felton dans un affrontement à sa convenance. Il semblait aussi qu’il se morfondait d’être parmi ces Espagnols pour le moment téméraires parce que l’ennemi ne leur était point apparu. La présomption du roi, pour malencontreuse qu’elle fut, semblait le réjouir : Henri allait savoir ce qu’était une terrible bataille. S’il tombait dans les mains de Pèdre, le suzerain déchu lui ferait endurer le châtiment suprême : il serait précipité dans une vaste cuve d’eau bouillante 261 jusqu’à ce que ses chairs se séparassent des os. Y avait-il songé ? Il ne le semblait point tant paraissait immense sa certitude de vaincre.
– N’ayez crainte, maréchal, et vous aussi, mes bons amis de France. Avez-vous vu une aussi grande armée que celle qui nous entoure ?
Nul ne broncha. L’usurpateur se tourna vers les Anglais dont certains défaillaient par fatigue et perte de sang :
– N’est-ce point un heureux présage ? Ils ont connu notre ire et notre violence.
Et paternel, l’index tendu vers les vaincus :
– Vous mangerez.
Cette promesse indigna Guesclin. Il se leva, contourna la table et se mit à marcher devant les Anglais.
– Par Dieu, dit-il, franc roi d’Espagne, si vous me voulez croire, vous viendrez à honneur et vous déconfirez votre ennemi mortel sans bataille ni péril.
– Je sais, Bertrand, quel homme merveilleux vous êtes…
Une voix s’en vint troubler l’attention de Tristan. Presque un murmure : « Asinus asinum fricat » – l’âne frotte l’âne. Ces trois mots latins désignaient deux
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