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Les fils de Bélial

Les fils de Bélial

Titel: Les fils de Bélial Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Demain, je te prendrai sous ma protection.
    Des poings se levèrent et des cris jaillirent :
    –  Calveley !… Que ta félonie t’étouffe !
    –  Toi aussi, tu nous as trahis !
    C’étaient Audrehem et Neuville. Le dépit les rendait familiers.
    –  Non, protesta l’Anglais. Je vous avais dit, en vous quittant, que je servirais mon prince. Je l’eusse trahi en restant des vôtres.
    Il y eut des huées, des menaces de mort dont le géant n’eut aucun souci. Tout en lui enviant sa sérénité, Tristan pénétra dans l’enclos des captifs : les pieux en étaient des vouges et des guisarmes tenus par des piétons d’autant plus intraitables que la plupart portaient les stigmates de la bataille et devaient se demander quel miracle les avait maintenus en vie.
    –  Sain et sauf, Castelreng.
    –  Hé oui, messire Audrehem. Par la grâce de Dieu, comme vous.
    –  Ils vont s’attabler devant nous, gobeloter et s’offrir une grosse lippée en notre honneur. Puis ils entonneront leurs chants de guerre…
    Le courroux du maréchal n’atteignit pas Tristan. Eût-il pleuré sur cette défaite qu’il n’eût point suscité sa compassion. Comme Guesclin et tant d’autres, il avait servi l’ambition d’un aventureux. Il avait été l’un des premiers à occire les Juifs de Briviesca et il avait même aidé le Breton à embraser l’église où ils s’étaient réfugiés en sachant pertinemment qu’elle constituait un lieu d’asile inviolable. Mais les chrétiens en armes n’avaient que faire d’une tradition qui leur importait peu du moment qu’ils se régalaient à ouïr des hurlements de souffrance et de désespoir. Audrehem recevait une leçon méritée. Cependant, à sa colère, se mêlait quelque chose d’autre. Quelque chose d’indéfinissable qui ressortissait à la peur.
    –  Ils peuvent se gober de ce qu’ils nous ont fait.
    –  Sans la défection de Tello, nous gagnions ! Oui, nous gagnions, Castelreng !
    Voire. Tello n’était en fait qu’une espèce de borrica  : une bourrique sinon un âne. Les Goddons étaient les meilleurs et l’avaient prouvé une fois de plus.
    C’était une vérité manifeste. « Moi, Castelreng… » Il avait fréquemment pressenti la déroute et imaginé l’humiliation qu’elle dispenserait à tous ces esprits hautains et farouches peu enclins à s’interroger sur eux-mêmes et moins encore sur leurs adversaires.
    –  On peut dire, messire Audrehem, que les audaces verbales d’un Tello et de quelques autres nous ont plongés dans la merde et l’opprobre. Guesclin avait raison de douter de ces males gens.
    Tristan s’interdit de se tourner vers le Breton. Pour le moment, sa présence lui importait peu. Il vit avec joie Paindorge apparaître. Shirton le soutenait.
    –  Robert !
    L’écuyer était blessé à la jambe senestre. Une sagette avait percé le fer de sa grève et atteint le jarret. La flèche s’était rompue sous le heurt 331 .
    Shirton était indemne. Son arc et son carquois tremblotaient à son flanc.
    –  Ah ! Messire… Je me faisais un sang noir…
    –  Dieu soit loué ! Tu es vivant, Robert, vivant !
    Lâchant son bassinet, Tristan ouvrit ses bras à Paindorge. Il le serra sur sa poitrine de fer tout en lui tapotant les épaules. Il ne se sentait plus seul et ne cherchait point à lui dissimuler son émoi. Le passé avec ses remembrances décourageantes, le présent avec ses angoisses, l’avenir avec ses incertitudes, tout s’anéantissait dans cette étreinte affectueuse et tenace qui les revigorait sans pourtant les guérir de leur mal de l’âme. Quand fut dénouée l’accolade, Tristan offrit sa dextre à Shirton :
    –  Je te regracie, Jack. Il est bon que notre amitié subsiste. Je n’oserais abuser de ta bienveillance si je ne te connaissais. Or, sache-le : j’ai laissé mes deux soudoyers, Yvain et Girard, loin de ce champ, près de la rivière, avec nos chevaux. Peux-tu savoir ce qu’il en est advenu ? Tu les connais : vous avez potaillé ensemble.
    –  C’est vrai. Putain de guerre entre deux fils de putes… Mais je m’en vais. À chacun sa place… On se reverra.
    L’archer s’éloigna. Paindorge se laissa choir sur le sol, parmi les jambes des bien-portants indifférents à sa male chance : il n’était qu’un écuyer. Tristan sépara les deux parties de la grève senestre, remonta le bas-de-chausse et vit la blessure. Le sang y sourdait à peine, retenu par le bois rompu.

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