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Les fils de Bélial

Les fils de Bélial

Titel: Les fils de Bélial Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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lacérée sous laquelle on voyait des mailles ensanglantées. Dans cet almogavare à bout de souffle et d’énergie, Tristan reconnut Inigo Lopez Orozco, un des caballeros qui, lorsque Pèdre avait abandonné Burgos, s’était rallié au Trastamare peu avant son couronnement. On savait peu de chose sur cet homme, chez les Français, sinon qu’il avait toujours servi Pèdre avant que l’usurpateur ne lui eût fait des promesses extraordinaires dont il eût dû savoir ou deviner qu’elles étaient captieuses et que don Henri ne pensait qu’à lui seul. Toutefois, ayant choisi son parti, il avait honoré son serment d’allégeance.
    –  Orozco !
    C’était un rugissement : Pèdre, soudain, ne fut plus qu’un fauve. Bien que gavé du sang et des souffrances des autres, sans distinction, il courut lourdement, l’épée dressée, vers l’infortuné, en vociférant toujours : « Orozco ! Orozco ! » Parvenu devant lui, et secoué tout à coup d’un rire ignoble, il outreperça d’une estocade puissante, au ventre, le serviteur qu’il avait jadis comblé d’honneurs.
    –  Sire, quelle abjection ! proclama Calveley à l’adresse du prince Édouard. On ne tue pas un prisonnier et celui-ci méritait des égards.
    –  Il a raison ! hurla Chandos.
    –  Pèdre ! Pèdre ! s’exclama l’héritier d’Angleterre. J’avais votre promesse ! J’avais votre serment !
    Il était indigné autant que tous les impuissants témoins de cette infamie. Certains prud’hommes vilipendèrent à haute voix et le crime et le criminel, mais Pèdre, immobile devant le mourant que des spasmes hantaient encore, n’avait cure ni des protestations ni de la condamnation de ces gens auxquels il devait sa nouvelle couronne. Il souriait, tenté peut-être d’achever Orozco par quelque récidive abjecte.
    –  Le monstre ! grommela Calveley.
    –  Voilà, dit Tristan, un linfar indigne d’être roi et que vous avez soutenu.
    Bien qu’il eût vu, lors de sa captivité parmi les routiers de Brignais, des abominations plus atroces que celles à laquelle il venait d’assister, il était écœuré, au bord du vomissement, et conservait dans ses oreilles, avec les rugissements de Pèdre, les cris d’horreur des Anglais et de leurs prisonniers. Ce meurtre les avait comme réconciliés. Même ceux qui, sans vergogne, avaient bafoué par plaisir ou nécessité les préceptes de la Chevalerie, même ceux-là fulminaient contre ce roi sans mérite ni scrupule, tout en sachant qu’il y était insensible, la griserie du meurtre et de la vengeance l’emportant sur le peu de dignité qu’il croyait posséder. Il considérait avidement sa victime et son regard ne devait trouver, dans le regard vide et terne du mort, que sa propre turpitude.
    –  Vous êtes un parjure, Pèdre ! s’écria le prince de Galles tandis que son allié remettait sa lame sanglante au fourreau. Un parjure, en vérité !
    –  Je n’ai jamais vu de ma vie, hurla Lancastre, une perfidie pareille.
    À quelques toises du pavillon d’Édouard, on posait des plateaux sur des tréteaux de bois. Des écuyers et des aides les recouvraient de tabliers armoriés comme des bannières tandis que d’autres disposaient dessus des écuelles d’or et d’argent et des hanaps plus hauts et bedonnés que des ciboires. Rien ne manquait, sans doute, et des feux commençaient à ronfler sous de grandes hastes où l’on rôtirait sans doute des quartiers de chevaux et des chapelets de volailles.
    –  En seras-tu, Hugh ?
    –  Certes. Vois la longueur des tables. Nous serons soixante ou davantage. Nous avons mérité le vin et la pitance. Nous avons perdu moult soudoyers mais peu de chevaliers à ce qu’il semble 330 .
    Ils s’étaient approchés des prisonniers, les uns debout, groupés autour de Guesclin, les autres se tenant soit à cacaboson, soit allongés dans l’herbe. Nul ne parlait. Après s’être animés lors du crime de Pèdre, tous subissaient le poids d’une ignominie qu’ils trouvaient imméritée. On les avait trahis : Tello, Henri et quelques autres. Assis et adossé à un arbre, don Sanche, tête nue et basse, rongeait son frein, et sans doute vouait-il aux gémonies un frère outrecuidant mais faible d’esprit. Il avait assisté à la vengeance de Pèdre contre Orozco. Il redoutait d’être reconnu et exécuté.
    –  Je vais te quitter, Tristan, dit Calveley. Mieux vaut que tu sois avec eux et traité comme eux pour ce soir.

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