Les fils de Bélial
Guesclin : une grosse partie des Compagnies avait fait mouvement vers le nord, très certainement vers la France. L’usurpateur se morfondait d’avoir à affronter don Pèdre avec des forces amoindries. Cette retraite des deux tiers de la truanderie ajoutée au probable délaissement des Anglais rendait l’humeur des chefs détestable. On s’était aperçu, à Tolède, de quelques liaisons subreptices entre des hommes de la Grande île et des partisans, certes non avoués, du roi déchu. Leur détachement de plus en plus apparent à la cause de don Enrique consternait les prud’hommes de plus en plus englués, eux, dans la racaille. On attribuait la raison de la défection des capitaines anglais à leur dépit envers Guesclin : ils le voyaient comblé de faveurs et jouissant si ostensiblement de la confiance d’un prince que certains l’appelaient d’un mot inventé : le vice-roi, que Tristan approuvait, puisque le premier tronçon exprimait du Breton la nature indéfectible. Le bruit courait d’un traité entre Pèdre et le prince de Galles. On murmurait que le fils d’Édouard III n’attendait qu’une occasion pour se déclarer. Tristan savait fondée la défiance du Trastamare, de Guesclin et des prud’hommes. Pain dorge et Lebaudy, qui aimaient à muser les oreilles et les yeux grands ouverts, avaient appris qu’on avait cessé de mander les Anglais aux conseils et renoncé à leur communiquer ce qui s’y était délibéré. Ainsi pensait-on leur faire comprendre que les capitaines avaient pris ombrage de leur conduite et que s’ils donnaient quelques nouveaux sujets de suspicion ou de courroux, on serait en état de leur faire un mauvais parti. Cette brisure de liens déjà lâches laissait présager, comme Calveley le pressentait, des batailles acharnées dans un avenir que Tristan souhaitait lointain.
Olivier, le frère de Guesclin, Audrehem, le Vert Chevalier, Bourbon, Villaines, Jean de Neuville et Beaujeu semblaient les plus défavorables à ceux qu’on appelait de nouveau les Goddons. L’archevêque de Tolède, homme richissime et primat de toute l’Espagne, les avait traités avec une déférence qu’il s’était bien gardé d’accorder aux Français : leur exécrable réputation les avait précédés avant même qu’ils eussent été en vue de la cité. Le prélat préférait la haute personne de Calveley et son franc sourire de barbu roux comme un feuillage d’automne à la courtaude et solide stature d’un Guesclin dont la bouche vaste, aboyeuse, semblait toujours prête à mordre n’importe qui pour n’importe quoi et à proférer des outrances, des menaces, voire des blasphèmes.
– Vois, Robert, comme on nous observe.
Guesclin, Couzic et la plupart des Bretons les tenaient à l’œil. Yvain Lemosquet, Lebaudy et Serrano même, n’échappaient guère à cette surveillance.
– Ils veulent venger le Karfec et Orriz.
– Le plaisir du meurtre est en eux comme une inavouable maladie. Ils choisiront un prétexte pour nous occire… Mais nous sommes en suffisance pour faire échec à leur perversité.
Bien qu’il ne cessât d’être vigilant, Tristan se montrait, désormais, d’une indifférence absolue à tout ce qui l’entourait sauf ses hommes et leurs chevaux. Il s’était refusé à retourner chez del Valle pour ne point le préjudicier. Il n’avait qu’une seule et double pensée : Teresa et Simon. Bien que Paindorge l’eût maintes fois adjuré de se ressaisir et lui eût démontré qu’il n’avait aucun reproche à s’adresser, il se sentait l’âme noire. En demeurant à Burgos, le frère et la sœur eussent sûrement échappé à la mort.
Il se sentait également assujetti à des événements funestes. L’absence d’Ogier d’Argouges ne faisait qu’empirer sa tristesse. Cet homme-là l’eût compris, rassuré, conforté mieux que ne le faisaient Paindorge, Lemosquet et Lebaudy eux aussi pleins de haine.
Quant à Serrano qui avait perdu sa guiterne dans l’escarmouche de Guadamur, il ne chantait plus.
Insensible à tout – comme contagionné par la mélancolie de son maître -, Alcazar allait d’un bon pas quand ce n’était d’un amble serein sous lequel, parfois, le galop affleurait. Ses fers avaient gaiement clapoté sur les dalles du pont San Martin. Maintenant, il piétait dans la rocaille.
– Cette immense forêt dont on nous a parlé ?
– Nous y passerons, Robert. On la dit pernicieuse.
Pour le moment,
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