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Les fils de Bélial

Les fils de Bélial

Titel: Les fils de Bélial Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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soulignaient maintenant des cris d’allégresse. Bien qu’elles fussent trois à se livrer aux regards et aux troubles appétits des hommes – peut-être à leur faim-valle -, il ne voyait que Francisca. Elle était tout ce qu’Aliénor, Oriabel et Luciane n’avaient jamais été. Son corps trépidant, ses cheveux d’un brun d’abîme, son visage d’une blêmité de statue soudainement transmutée en chair, ses yeux aux éclats de joyaux sublimés par les feux des innombrables chandelles le transportaient hors des lieux et du temps, au-delà de lui-même. Depuis sa venue en Espagne, il avait déjà éprouvé cette sorte de fascination. À Burgos, subjugué par la grâce et la virginité de Teresa, il s’était refusé à regarder les femmes, pour la plupart belles, qui se rendaient au sacre du Trastamare. À Tolède, il avait vu les sénioritas aller et venir d’un pas leste dont le balancement des hanches ne pouvait que susciter, dans son esprit, la nostalgie d’autres mouvements. À Séville, à peine arrivé, il avait été touché par le charme insidieux du meneo (429) , et des paroles déjà entendues lui étaient revenues en mémoire : « Tiene mucha miel en las coderas 112 . » Francisca n’avait pas que du miel dans les hanches. Elle y avait du feu. Pourrait-il s’y brûler ?
    Calveley se leva. Il fit de même.
    –  Quoi, vous ne restez pas ?
    –  Point de tentation.
    –  Vous l’allez décevoir, compère. Elle est éprise.
    Un sourire étirait les lèvres de l’Anglais. Moquerie ?
    Mépris pour ce qu’il assimilait à un renoncement ? Pire même : une faute.
    Francisca dansait toujours, infatigable. Et ses mains aux doigts agiles modelaient des mots connus des seuls Sévillans ; des mots qui signifiaient l’amour et la mort et le désir de se perdre dans l’un ou l’autre. Une main donnait la réplique à sa sœur : un pied menu, autoritaire, exprimait des vouloirs que son voisin approuvait. Tout un langage, un artifice, une convention. Un envol de la réalité vers le rêve. Jamais d’incertitude dans ces mouvements, mais des convictions et des emphases.
    Peu à peu, cette danse, écriture des mains, devenait une  page, et mieux encore, un hymne. Un sourire en guise de fleur à ses lèvres, Francisca se renversait en arrière, jouait de la hanche, jetait son pied, sautait, sourcils froncés ou déployés, comme un vol d’oiseau vif aux plumes satinées.
    –  Elle est, dit Calveley, l’émanation du plaisir.
    –  Plaisir d’avoir un corps qui ressemble à son âme.
    –  Un corps qu’elle aime et admire, compère. Un corps qui s’enchante de la musique tout autant que ses oreilles. Elle doit danser la cordace mieux que les putains d’Athènes. Je vous souhaite…
    L’Anglais s’interrompit par crainte d’être obscène. Tristan ne cessait de regarder l’échafaud où les ombres dansaient aussi. Et quand Francisca fut seule, elle lui parut plus grande, plus lumineuse que la clarté qui faisait scintiller sa parure. «  À portée de mes yeux, à portée de mes mains. » On eût dit une braise avivée par ses voltes, attisée par ses gestes tantôt ronds, tantôt brièvement aigus, toujours empreints d’une volupté sacrée, franche ou balbutiante. Ses cheveux si longs, si soyeux et si lourds adhéraient parfois à ses joues, à son front, et ses mains prestes en rejetaient les flammes brunes tandis que ses talons frappaient les planches avec l’impatience d’une fillette livrée à la fureur d’un caprice interdit. Et dans des douleurs simulées, elle enfantait de tout son corps, de toute son âme, des torsions et des pirouettes, des déhanchements où les redites et les repentirs s’évaporaient dans des sursauts. Les ombres couronnées de ses bras arrondis berçaient la frénésie d’une chair dont Tristan, charmé, imaginait l’arôme.
    –  Elle boit la musique et s’en saoule l’esprit. Ah ! Compère, ces guiternes sont aussi enivrantes que les Sévillanes et le manzanilla !
    Un lourd désir flamboyait dans les prunelles de Calveley bien qu’il sut que Francisca ne lui était pas destinée. Malgré sa haute taille, elle ne l’avait pas vu.
    –  Cette fois, compère, je dois partir. Hein, Jack ?
    Shirton approuva du menton. L’Anglais vida son cruchon à même le goulot. Tristan l’imita. Ensemble, ils levèrent leur récipient en direction de la danseuse qui feignit d’ignorer l’hommage qui lui était dévolu.
    –  C’est un

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