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Les fils de Bélial

Les fils de Bélial

Titel: Les fils de Bélial Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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autour de lui, il ne vit que des gens et des chiens indifférents à sa présence. Après qu’il eut atermoyé un instant, il monta l’escalier de bois criard : en son milieu, silencieux sur les bords, et fut devant la porte, sa porte.
    Le cœur lui manqua. Collant son oreille contre l’ais de bois ciré aux tympans travaillés en carrés et rectangles, il crut percevoir un bruit dont il fut incapable d’interpréter la nature. Il chercha une brèche où pouvoir approcher un œil et fut déçu.
    –  Francisca, dit-il en tapant l’huis de l’index.
    Rien ne bougea.
    –  Francisca ! Un momentito… Estoy aquî por… Et puis… mierda : ouvre-moi !
    Il redescendit, les jambes rompues, la bouche amère, la rage au corps et revint lentement chez Paco Ximenez. Ses compagnons s’étonnèrent de le revoir déjà, mais seul Paindorge, d’un regard, condamna son silence et sa morosité tandis que Serrano lui montrait la guiterne qu’il avait achetée dans une échoppe, entre deux maisons de danse, calle de las Sierpes.
    –  Vous l’aimez ? s’enquit le trouvère à mi-voix.
    –  Elle est belle.
    –  Oh ! Ce n’est pas d’elle que je parle, dit Serrano en tapotant la donte de l’instrument. C’est de l’autre : la danseuse.
    –  Comment sais-tu ?
    –  Elle est passée alors que vous étiez absent.
    Un soupir de soulagement et de dépit confondus dégonfla les poumons de Tristan.
    –  Que t-a-t-elle dit ?
    –  Elle a demandé si vous logiez chez Ximenez. C’est tout… L’aimez-vous ?
    –  Je ne sais, avoua Tristan, sincère, mais j’aime son amour comme elle aime le mien.
    Il retourna le soir à la maison de danse. Il n’avait pu dissuader Serrano de l’accompagner : le trouvère tenait à consacrer sa guiterne en un lieu approprié.
    Le bai le se nommait Las Delicias. Ce devait être l’un des plus réputés de Séville. La foule y était aussi nombreuse, aussi bruyante et d’aussi bonne humeur que chaque soir, sans doute. Une logette était disponible au balcon, retenue par une señorita , « pour vous señor », dit la servante à laquelle Serrano s’était adressé en dévisageant Tristan. Et d’ajouter :
    –  Paciencia, espera.
    Le trouvère coucha son instrument le long de la balustrade d’où l’on dominait les consommateurs.
    –  Voyez, messire. Ces gens aux chapels étranges, ronds, plats, épais, sont des bouviers. Là-bas, ce sont des charpentiers… Il y a quelques hommes d’armes, – des Anglais – et des ricos hombres.
    –  Et Couzic et quatre Bretons, dit Tristan, courroucé.
    –  C’est vrai, messire. Mais leur méchanceté me semble s’être noyée dans le manzanilla… Ne vous souciez point d’eux et… D’ailleurs, la voilà !
    Des mains crépitèrent. Des cris, hurlements, frappements de gobelets sur les plateaux des tables saluèrent l’apparition de Francisca, vêtue d’une robe noire qui lui léchait les jarrets. Tristan ne put qu’admirer cet atour simple, funèbre. Les menues fronces sur les épaules et les bras demi-nus, la molle retombée des plis au-dessus d’une grosse ceinture dont le cuir se confondait au satanin du vêtement et, plus bas, les sillons profonds, brillants, sévères, seyaient à l’immobilité de Francisca. Rien n’apparaissait ni ne se devinait  d’un corps parfait dans ce fourreau cannelé qui, serrant  les hanches, s’évasait vers le bas. La danseuse n’était plus qu’une grande fleur noire sommée d’un œillet rouge, les cheveux ramenés en queue de cheval et maintenus par un peigne immense. Sur son front pâle,  une mèche simulait un crochet.
    –  Elle est belle, dit Serrano.
    Plutôt que d’acquiescer, Tristan s’étonna d’une voix basse, agacée :
    –  Voilà Naudon de Bagerant. Je le croyais parti avec les autres.
    Le routier, tête nue, salua la danseuse. Indifférente à cet hommage tardif et solitaire, celle-ci pirouetta sur ses talons. Tristan se vit adresser un sourire qui effaça toutes ses craintes, cependant que la foule attentive exprimait son désaccord ou son approbation par des « Hou ! Hou ! » qui cessèrent lorsque deux guiterniers apparurent. Chausses moulantes, noires, et chemise blanche, ils avaient un air conquérant. Sur un clin d’œil de Francisca, ils s’assirent et grattèrent leurs cordes. Les aigus et les graves montèrent vers le grand socle de bois sur lequel s’animait la danseuse et jusqu’au balcon où les hommes et leurs compagnes

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