Les Fils de France
cette phrase en suspens. Il venait de croiser le regard effarouché du prélat, et avait aussitôt compris.
— C’est le dauphin...
Le cardinal de Lorraine hésita un instant, comme si la réponse n’allait pas de soi.
— Euh... Oui, sire.
Le visage du roi blêmit d’un coup.
— Mon fils est-il mort ?
— Non, non, non, Sire. Cela non... Mais... Le prince François est au plus mal, vraiment... Et...
D’un geste, François I er le fit taire.
— J’entends bien.
— Sire...
— Vous n’osez me dire d’entrée qu’il est mort, mais vous voudriez que je sois certain qu’il mourra bientôt ! François est-il encore en vie, oui ou non ?
— Eh bien...
Le cardinal n’eut pas le loisir d’aller plus loin. D’un seul coup, le roi s’était effondré. S’affaissant contre une embrasure, il prit sa tête dans ses mains et sanglota violemment, quoique de manière presque silencieuse. Le prélat n’osa pas s’approcher jusqu’à toucher son maître ; il ne savait comment le réconforter.
— Je le savais... dit le roi après cette première faiblesse. Il était bien trop mal.
Les pleurs du monarque, tellement déroutants, reprirent ; ils n’allaient guère cesser avant le soir.
— J’aimais beaucoup ce fils-là. Il était doux et gentil ; léger, conciliant et puis vif... Tout le contraire d’Henri.
Ces derniers mots avaient été prononcés avec une étonnante froideur.
— Sire, reprit le cardinal de Lorraine, justement le nouveau dauphin...
— Ah, ne dites pas cela ! Pas encore...
François sanglotait de nouveau quand le prélat, à force d’insister, obtint qu’il reçoive enfin le frère cadet du défunt. Henri d’Orléans – qui devenait, de droit, dauphin à son tour – pénétra dans le cabinet paternel à pas comptés, ses yeux sombres fixés avec inquiétude sur ce visage baigné de larmes.
— Approchez, approchez donc !
Il n’y avait nulle tendresse dans le ton du roi. Le prince ne savait trop quelle attitude adopter ; mais en voyant son père, ses sentiments le débordèrent et il fondit en larmes. Cela eut pour effet d’adoucir un peu le ton trop dur de l’accueil.
— Ah, mon fils, dit François en lui donnant enfin l’accolade, nous venons, vous comme moi, de faire une grande perte ! Vous avez perdu votre frère et moi, mon fils aîné.
Nouveaux sanglots.
— Voyez-vous, ce qui décuple mon regret, c’est de songer à l’amour que lui vouait tout le monde, des plus grands aux plus petits...
— Oui, murmura Henri.
Le roi se détacha de son cadet et le regarda droit dans les yeux.
— Je ne puis mieux faire que vous engager à l’imiter en tout. Exercez-vous, mettez-vous en peine. Tâchez même de le surpasser, pourquoi pas ?
Le roi paraissait peu convaincu de cette possibilité.
— Faites-vous tel, à présent, et si vertueux, que ceux qui aujourd’hui languissent d’un regret sans fin trouvent en vous de quoi l’apaiser...
— J’essaierai, sire.
Le nouveau dauphin n’insista pas ; il sortit sans ajouter un mot. Mais dans son esprit, et dans son cœur plus encore, il ressentait douloureusement la froideur de ce père soudain si franc dans son deuil, et le manque de confiance qu’elle traduisait – pis que cela : la préférence tragique qu’elle trahissait en faveur de l’aîné foudroyé. Henri, dans ce moment, se sentit plus malheureux que jamais. Certes, il ne pouvait pas en vouloir à son grand frère d’avoir attiré sur lui la majeure part de l’amour paternel ; mais il en ressentit une amertume extrême qui lui paraissait écorner, singulièrement, la tendresse qu’il avait toujours éprouvée pour le défunt.
Avignon, camp de Montmorency.
C ’est un jeune prince encore perturbé, choqué même par le quasi-désaveu de son père, qui avait pris, début septembre, le chemin du Sud. On n’avait pu trouver meilleur alibi pour l’éloigner un temps de la Cour que la mission d’aller inspecter le camp principal de l’armée de défense, installé par le maréchal de Montmorency aux abords d’Avignon.
— Vive le dauphin ! Vive le dauphin Henri !
Les cris des soldats, savamment orchestrés par le grand maître, accueillirent de loin le prince qui – chose aberrante – ne s’était encore jamais entendu appeler par son titre depuis la mort de son frère aîné. La surprise passée, il en conçut non seulement un plaisir assez vif, mais une gratitude qui lui brûlait le cœur avant même d’avoir
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