Les Fils de France
mal avaient redoublé. Dans la matinée, alors que le soleil redevenait brûlant, on vit François frissonner et transpirer à la fois ; il s’agitait pour un rien... Son teint avait pris une coloration jaunâtre des plus alarmantes.
— Je suis bien mal, au vrai, gémit-il, pendant que son frère cadet lui épongeait le front.
— Calmez-vous, tout ira bien.
— Henri, vous souvenez-vous de Pedrazza 3 ? Quand j’étais malade, déjà, et que vous me lisiez les exploits d’ Amadis ?
— Cela vous plairait-il d’en entendre une page ? J’ai toujours un exemplaire avec moi.
— Non ! Pas maintenant... Ah, Henri ! Ce maudit gouverneur... Vous souvient-il ?
— Calmez-vous, mon frère.
— Je ne voulais pas... Moi, je ne voulais pas !
Le médecin se lamenta.
— Cette fois, le patient perd la raison. Effet des fièvres...
— Taisez-vous donc ! Henri sait, lui, que je ne délire point !
— Calmez-vous...
Orléans, plus impénétrable que jamais, savait en effet à quoi François faisait allusion : en Espagne, avant le traité de Cambrai, la détention des jeunes otages était devenue carcérale ; on les avait éloignés des leurs, privés de toute suite française, isolés en somme – et placés sous la garde d’un gouverneur qui, sur François surtout, avait tenté d’épancher des pulsions perverses.
À présent, François claquait des dents d’une manière sinistre.
— Henri ! pleurait-il. Henri, vous ne dites jamais rien...
— Vous êtes...
Le prince ténébreux faisait de gros efforts pour exprimer à son frère un peu de ce qu’il ressentait.
— Vous serez toujours mon frère bien-aimé, dit-il. Je n’oublie rien de tout ce que nous avons vécu ensemble ; moi je sais – nous savons...
À ces mots, le dauphin apaisé eut un long et profond soupir. Il somnola même un moment...
L’on accosta pour la nuit, et les amis du prince se relayèrent à ses côtés jusqu’à l’aube. Le coche d’eau continua sa descente... Mais dans le milieu de la matinée, l’état du malade avait empiré dans de telles proportions qu’à l’approche de Tournon, le médecin prit la résolution de le débarquer.
Avec des précautions infinies, l’on transporta sa couche vers ce beau château dont les terrasses dominent le Rhône. Le cardinal de Tournon, natif des lieux, et qui venait de faire au roi les honneurs du collège local, ne parvint au chevet du mourant que pour lui prodiguer les derniers sacrements. C’est lui qui devait lui fermer les yeux.
Le prince François de France, dauphin de Viennois et duc de Bretagne, s’éteignit dans la nuit du mercredi 9 au jeudi 10 août, sans autre secours que la présence trop discrète de son frère. Il avait dix-huit ans.
Le nouveau dauphin et le cardinal de Tournon s’en vinrent à Valence, en lugubre équipage, afin d’apporter eux-mêmes au roi la terrible nouvelle. Le prince ténébreux affichait une tristesse bien plus marquée encore que de coutume. Quant au cardinal, sa face de rongeur était parcourue de tics nerveux qui, dans d’autres circonstances, auraient prêté à rire. Il est vrai que la mission était des plus pénibles : comment annoncer à ce père insouciant que, cette fois, sa légèreté avait eu de lourdes conséquences, et qu’en aggravant sans doute l’état de son fils, elle l’avait tué ?
— Je vous plains d’avoir à endosser ce vilain rôle, dit à son confrère le vieux cardinal de Lorraine.
Tournon se racla la gorge.
— Pardon, rectifia-t-il. C’est moi qui vous plains, mon cher ! Je ne suis pas archevêque de Reims, et encore moins membre permanent du Conseil. Ainsi donc... Je vous cède la place !
— Vous n’y songez pas ?
— Mes vœux vous accompagnent.
Le dauphin Henri ne put s’empêcher de trouver l’échange assez cocasse. Finalement, le plus courageux – ou le moins couard – se révéla être le cardinal de Lorraine qui, osant à peine entrer dans le cabinet du roi, y afficha aussitôt une mine décomposée.
— Sire...
— Ah, mon cousin ! s’exclama François I er . Depuis avant-hier, les mauvaises nouvelles s’accumulent.
On venait d’apprendre en effet que l’empereur, entré sans résistance à Aix, s’y était paré du vieux titre de « roi d’Arles ».
— Certes, poursuivit le roi, je fais confiance à Montmorency ; toutefois, je ne vous cache pas que sa tactique de terre brûlée m’effraie un peu. Enfin, jusqu’où...
Le roi laissa
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