Les Fils de France
plus encore une punition éclatante. Pardonnez-moi de vous l’apprendre, mais un Grand Conseil, composé tout exprès, s’apprête à condamner votre ami au pire des supplices : on va l’écarteler en public !
— Ne dites pas cela !
Au regard perdu de son visiteur, devant sa mine défaite, la duchesse d’Étampes se sentit prête à fondre. Une fois encore, elle s’assura qu’ils étaient seuls et, furtivement mais non sans tendresse, déposa un petit baiser sur les lèvres de Simon.
— Quittez cette ville ! lui murmura-t-elle à l’oreille. Éloignez-vous de la Cour, oubliez toute cette histoire... En son nom même, je vous en conjure : ne cherchez pas à défendre un mort en sursis : votre Italien a pris sur lui tous les péchés du royaume.
Lyon, place de Grenette.
C ’est de la plus honteuse façon – traîné sur la claie à travers une foule qui le couvrait d’insultes – que le comte de Montecucculi gagna les lieux de son supplice. Livré par les geôliers de Roanne aux mains de l’exécuteur et de ses aides, il fut vivement détaché, soulevé par les aisselles et hissé vers l’estrade sous les cris haineux du public. Les bourreaux, équipés de tabliers de cuir, l’agenouillèrent en direction de la tribune royale et, de lui-même – réflexe ou crânerie dérisoire – il s’inclina piteusement devant la Cour.
La famille royale, encore endeuillée, était moins convaincue que le peuple de la culpabilité du Ferrarais. Si l’empoisonnement paraissait possible, il n’avait pas été prouvé ; et la rétractation du coupable donnait des arguments à ceux qui, dans l’entourage des Fils de France, avaient trop aimé l’échanson pour accepter cette vérité officielle. Le roi, seul, semblait pénétré de la justice de son arrêt – mais n’était-ce pas le moins qu’on pût attendre de sa suprême autorité ? Tout de noir vêtu, le monarque siégeait, impénétrable, au premier rang de la tribune, entre sa sœur Marguerite et son épouse Éléonore. Le petit crachin qui s’était mis à tomber leur mouillait le visage, ce qui pouvait donner le sentiment qu’ils pleuraient.
Déjà les bourreaux dénudaient le condamné, le couchaient sur le banc et, dans un silence de mort, l’enchaînaient par l’abdomen. Sans se presser, les hommes de l’art lui fixèrent des sangles aux poignets, aux coudes et près des épaules ; aux chevilles, aux genoux et sur le haut des cuisses. Durant ces longs préparatifs, Sébastien redressait de temps à autre la tête, afin d’observer le travail des aides sur ses membres déjà gourds ; puis il la laissait retomber en poussant des soupirs déchirants, pleins de terreur et de résignation mêlées. Deux prêtres, penchés à ses côtés, lui donnèrent plusieurs fois le crucifix à baiser. À la fin les bourreaux, voulant éprouver la solidité des attaches, tirèrent à deux sur chaque sangle ; le patient gémit de douleur... Ce n’était rien encore.
Simon, jusqu’au dernier moment, avait voulu se persuader qu’un coup de théâtre viendrait, tôt ou tard, sauver son ami. Il avait joué des coudes pour approcher le plus possible de l’estrade, et n’avait admis l’horreur de la situation qu’en voyant Sébastien, inerte dans ses liens, recevoir l’extrême-onction. Alors une révolte intime s’empara de l’écuyer, qui se sentit seul comme jamais, et tellement impuissant. Se hissant sur la pointe des pieds, il tentait d’apercevoir, dans la tribune, la grande sénéchale, le nouveau dauphin, la belle Anne elle-même. Tous portaient un deuil de façade, qui paraissait celui du Ferrarais lui-même.
Sur l’échafaud, les atrocités commençaient. Tandis qu’on brûlait au feu de soufre les prétendues potions incriminées, l’exécuteur se saisit de longues pinces et, les portant vers la poitrine du condamné, lui fit aux mamelons de larges entailles, dans lesquelles un aide versait de la poix en fusion. Cette opération fut répétée sur le haut des bras et l’intérieur des cuisses, arrachant au jeune homme autant de plaintes affreuses.
Une certaine fébrilité régnait à présent sur l’estrade. Aux premiers cris, les prêtres avaient tressailli ; le plus courageux revint auprès du supplicié.
— Songez aux tourments de Jésus, mon fils. Le royaume des Cieux n’est plus loin...
— Mon père, écoutez-moi : je n’ai rien fait ! Ce n’était pas moi...
Le prêtre essuya, de sa manche, le visage du
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