Les Fils de France
Ferrarais.
— Courage, mon enfant, courage ! Tout sera bientôt fini.
Dans la tribune, la reine de Navarre s’était levée. Blanche, guindée, elle se frayait tant bien que mal un chemin vers l’issue, sous le regard courroucé de son frère qui, dans un tel moment, souffrait d’un tel désaveu. Plusieurs dames profitèrent de l’aubaine, et s’engouffrant dans le sillage de la haute princesse, la bénirent de son initiative.
Tandis qu’on attachait les sangles aux huit chevaux, harnachés deux par deux, le condamné, sous l’effet de la panique, fut pris de spasmes et de tremblements. On le vit se redresser et se débattre – sursauts pathétiques et qui n’émurent pas les bourreaux.
Simon de Coisay secouait la tête, dévoré par une insoutenable angoisse. Jamais encore, dans une vie pourtant dure et chargée de moments pénibles, jamais il ne s’était senti aussi mal. Et sans prétendre partager un centième des souffrances infligées à son ami – à son amant – du moins il entendait prendre pleinement sa part, jusqu’à en perdre la raison, de la chose innommable qu’il allait subir. Ce jour-là, sur ce marché poisseux, sous ce ciel de laideur, au sein de cette foule abjecte, l’écuyer picard se jura que jamais – jamais plus une seule fois – il ne se ferait complice de la bassesse des grands.
Des valets fouettèrent les chevaux, et ces masses de muscles se mirent à tirer en croix sur le garçon dont les ligaments, et les os même, craquaient ; Sébastien poussait au ciel des cris abominables – de hurlements de bête, qui glacèrent le public.
— Dieu, suppliait-il entre deux tiraillements, délivrez-moi ! Que je meure, vite !
Les chevaux peinaient à la tâche. Leurs sabots ferrés glissant sur le pavé humide, ils échouaient, malgré leur puissance, à arracher les maudits bras, les maudites jambes de l’Italien. De sorte qu’après bien des efforts, tous vains, l’exécuteur dut se résoudre à seconder leur travail. Mais il lui fallait recourir, pour ce faire, à ses couteaux de boucher...
L’assistance, révulsée, commençait à gronder. Beaucoup pestaient contre cette sauvagerie, certains s’évanouirent. Sur la tribune, le roi s’efforçait à grand-peine de ne pas détourner le regard, mais son entourage n’eut pas la même constance. Les jeunes princes, notamment, paupières closes, et qui s’étaient depuis longtemps bouché les oreilles, émirent de sourdes réprobations.
Quand enfin, aidés par le bourreau, les chevaux eurent emporté, presque ensemble, les quatre masses sanguinolentes, la foule – un temps sonnée – revint à son exécration première. On vit des fanatiques enfoncer le guet, envahir l’estrade, se jeter sur le tronc du mourant et l’achever dans un débordement de cruauté indicible.
Marchant à contre-courant, Simon ne vit pas les ultimes outrages infligés à son ami ; il ne vit pas ses viscères distribués aux furieux, ni cette tête devenue ballon pour des enfants inconscients et barbares... L’écuyer s’éloignait à toute force de la place rougie du sang du comte ; il marcha longtemps comme un automate, courut même en direction du fleuve et quand, enfin, il fut à peu près seul sur un quai dégagé, s’effondra de tout son poids et vomit, vomit à en perdre l’âme.
1 - Le poète italien Ludovico Ariosto, dit l’Arioste, était mort trois ans plus tôt, après avoir remanié son célèbre Roland furieux – Orlando furioso .
2 - Grand trou cylindrique, généralement maçonné et couvert d’une voûte, dans lequel on conservait toute l’année de la glace et de la neige recueillies pendant l’hiver.
3 - C’est la dernière des forteresses où Charles Quint les avait détenus, en tant qu’otages. Voir La Régente noire .
4 - On ignorait encore largement, à l’époque, la distinction entre les côtes orientales de l’Asie et le continent américain.
Chapitre IV
Le Tout-Puissant
(de l’Automne 1537 au Printemps 1538)
De Fontainebleau à Bourg-la-Reine.
L a mort de son fils aîné avait réveillé en François I er de vieilles blessures, jamais résorbées depuis sa captivité en Espagne et l’échange de ses propres enfants... Profondément affecté comme père, il l’était aussi comme souverain, tant la personnalité de son nouvel héritier l’inquiétait. Jusqu’alors, c’est dans les plaisirs de la chair qu’il avait trouvé un dérivatif à ses grandes peines. Mais désormais, son
Weitere Kostenlose Bücher