Les fils de la liberté
parce qu’elle était une… une…
— Une ban-sidhe … acheva Michael.
Il me regarda avec une étincelle d’humour dans les yeux et je compris pourquoi Jamie l’avait comparé à Colum MacKenzie.
— Je ne sais pas trop ce qu’il a voulu dire par là, ma tante, si ce n’est que vous êtes une sorte de conjuratrice ou une sorcière.
Jenny tressaillit et même Ian père tiqua. Ils se tournèrent vers Ian fils qui voûta les épaules.
— Ben… je ne sais pas exactement ce qu’elle est, se défendit-il. Mais elle fait partie des Anciens, n’est-ce pas, oncle Jamie ?
Au même instant, un courant d’air s’engouffra en gémissant dans le conduit de cheminée, faisant voler des étincelles et rouler des braises hors de l’âtre. Jenny poussa un petit cri puis se précipita pour les écraser avec un balai.
Jamie était assis à mes côtés. Il me prit la main et fixa Michael avec fermeté.
— Il n’existe pas de terme pour décrire ce qu’elle est. Mais elle a la connaissance des événements à venir. Ecoute-la…
Ces mots les calmèrent tous et ils devinrent attentifs. Je me raclai la gorge, extrêmement embarrassée par mon rôle de sibylle mais ne pouvant plus reculer. Pour la première fois, je ressentis une affinité avec les prophètes malgré eux de l’Ancien Testament. Je crus comprendre ce qu’avait ressenti Jérémie lorsqu’il avait reçu l’ordre d’annoncer la destruction de Jérusalem. J’espérais seulement que ma prophétie serait mieux accueillie. Il me semblait me souvenir que les habitants l’avaient jeté dans un puits.
Je me tournai vers Michael et m’adressai directement à lui :
— Tu es beaucoup plus familier que moi avec la politique en France. Je ne peux rien te dire sur des événements précisqui surviendront dans les dix ou quinze ans à venir mais… après cela, la situation va rapidement dégénérer. Il y aura une révolution, inspirée de celle qui a lieu en ce moment dans les colonies d’Amérique mais différente. Le roi et la reine seront emprisonnés avec leur famille et tous deux seront exécutés.
Un murmure horrifié s’éleva.
— Viendra ensuite une période appelée « la Terreur ». Des gens seront arrachés à leur foyer et dénoncés. Tous les aristocrates seront tués ou devront fuir le pays. En règle générale, les riches passeront un sale moment. Jared sera peut-être mort d’ici là mais pas toi. Si tu es aussi doué que je le pense, tu seras riche.
Michael émit un petit rire gêné et tout le monde sourit. Je poursuivis :
— Ils construiront une machine appelée la guillotine, peut-être même existe-t-elle déjà. Initialement conçue comme un moyen de décapitation plus humain, elle sera tellement utilisée qu’elle deviendra le symbole de la Terreur et de la révolution en général. Crois-moi, il vaut mieux que tu ne sois pas en France quand tout cela se passera.
— Je… Comment savez-vous tout ça ? demanda Michael.
Il était pâle et sur la défensive. Aïe ! C’était là que l’affaire allait se corser. Je serrai fermement la main de Jamie sous la table et le leur expliquai.
Un silence de mort s’abattit sur la pièce. Seul Ian fils ne paraissait pas abasourdi mais il savait déjà et me croyait plus ou moins. Il était clair que la plupart de ceux qui étaient assis autour de la table ne me croyaient pas. D’un autre côté, ils ne pouvaient pas me traiter de menteuse.
— Voilà ce que je sais, dis-je à Michael. Et voilà comment je le sais. Il te reste quelques années pour te préparer. Déplace ton commerce en Espagne ou au Portugal. Vends tout et émigre en Amérique. Fais ce que tu voudras mais ne reste pas en France au-delà d’une dizaine d’années. C’est tout.
Là-dessus, je quittai la pièce, laissant un profond silence dans mon sillage.
Je n’aurais pas dû être surprise mais je le fus néanmoins. Je me trouvais dans le poulailler, à ramasser les œufs, quand les volailles se mirent à glousser et à battre des ailes, m’annonçant que quelqu’un venait d’entrer dans leur enclos. Je fixai la dernière poule d’un regard d’acier, la défiant de me donner un coup de bec, puis attrapai l’œuf sous elle et sortis voir qui c’était.
C’était Jenny, avec son tablier rempli de blé. Etrange. Les poules avaient déjà été nourries ; j’avais vu l’une des filles de Maggie s’en charger une heure plus tôt.
Elle m’adressa un petit salut de la tête puis
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