Les fils de la liberté
accordée. Cependant, comme il s’agissait de l’armée américaine , cela ne signifiait pas qu’il avait le droit d’emmener le médecin : il était autorisé à lui demander s’il voulait bien l’accompagner.
Willie laissa Colenso auprès des chevaux et du mulet, avec l’ordre d’ouvrir l’œil, puis se dirigea vers la petite colline où on lui avait dit qu’il trouverait peut-être Denzell Hunter. Son cœur battait vite et ce n’était pas uniquement dû à l’effort. A Philadelphie, il n’avait pas douté un instant que Hunter accéderait à sa requête. A présent, il en était moins sûr.
Il avait combattu des Américains et en connaissait un grand nombre. La plupart n’étaient en rien différents des Anglais qu’ils avaient été deux ans plus tôt. Toutefois, c’était la première fois qu’il mettait les pieds dans un camp américain.
A première vue, il en émanait une impression de chaos, comme tous les camps dans les premières phases de leur installation, même s’il pouvait discerner une forme d’ordre parmi les tas de débris et les souches. Pourtant, l’atmosphère était différente de celle des autres camps, plus exubérante. Les hommes devant lesquels il passait étaient en haillons ; moins d’un sur dix portait des chaussures en dépit du temps. Ils s’agglutinaient tels des gueux autour des feux, enveloppés dans des couvertures, des châles, des morceaux de toile de tente et de sacs de jute. Néanmoins, ils n’étaient pas prostrés dans un silence maussade. Ils parlaient.
Ils discutaient amicalement, échangeaient des plaisanteries, s’interrompaient un instant pour aller pisser dans la neige, débattaient tout en piétinant en rond pour activer la circulation dans leurs jambes. Il avait déjà vu des armées démoralisées. Celle-ci n’en était pas une. Compte tenu des circonstances, c’était stupéfiant. Denzell Hunter devaitpartager leur euphorie. Accepterait-il de quitter ses compagnons ?
Il n’y avait pas de porte à laquelle frapper. Il arriva devant un groupe de jeunes chênes effeuillés qui avaient échappé jusqu’ici à la hache. Denzell Hunter se trouvait derrière, accroupi, recousant une entaille dans la jambe d’un homme étendu sur une couverture. Rachel tenait les épaules de ce dernier, la tête baissée vers lui et lui prodiguant des encouragements.
— Ne t’avais-je pas dit qu’il était rapide ? J’avais dit : pas plus de trente secondes, et j’avais raison. Tu m’as entendu les compter.
Le médecin saisit ses ciseaux et trancha son fil en souriant.
— Tu comptes bien lentement, ma sœur. Un homme aurait le temps de faire trois fois le tour de la cathédrale St. Paul en une de tes minutes.
— Bah, en tout cas, c’est fini. Redresse-toi et bois un peu d’eau. Tu ne dois pas…
Elle se tourna vers le seau d’eau posé près d’elle et aperçut William. Elle ouvrit une bouche stupéfaite puis se leva d’un bond et courut se jeter dans ses bras.
Il ne s’y était pas attendu. Ravi, il lui retourna son étreinte avec d’autant plus d’ardeur. Il reconnut son odeur, à laquelle s’ajoutait celle de la fumée.
Elle recula d’un pas, le visage empourpré, et le regarda de haut en bas.
— Ami William ! Je pensais qu’on ne te reverrait jamais. Que fais-tu ici ? Ne me dis pas que tu es venu t’enrôler !
— Non, je suis venu implorer votre frère de me rendre un immense service.
— Il a presque terminé. Alors comme ça, tu es vraiment un soldat britannique ? Nous nous en doutions mais nous avions peur que tu n’aies déserté. Je suis contente de voir que ce n’est pas le cas.
— Je suis heureux de ne pas vous avoir déçus, même si je suppose que vous auriez préféré que j’abjure ma profession et que je me consacre à la paix ?
Elle riposta du tac au tac :
— Evidemment, mais l’essentiel est de trouver la paix intérieure. Or, on ne la trouve pas en brisant ses serments et en prenant la fuite, car l’âme baigne alors dans la tromperie et l’on craint trop pour sa vie pour accéder à la sérénité. Denny, regarde qui est là !
Le docteur Hunter aida son patient fraîchement bandé à se relever et s’approcha de William avec un large sourire.
— Ami William, quelle bonne surprise ! Ai-je bien entendu : tu as un service à me demander ? Parle, ton souhait sera exaucé s’il est en mon pouvoir de le faire.
— Je ne vous prendrai pas au mot, dit-il en riant, soulagé.
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